Mémos

Mémo de cours

>> ( Section  )
>> [ Julien CHOLLAT-NAMY ]

Cinéma

Touche pas à la femme blanche !

Touche pas à la femme blanche !

Marco Ferreri / 1974 / Couleur / 1h48 / France-Italie

Synopsis

La bataille de Little Big Horn et son célèbre général Custer. Une parodie de western ayant pour cadre le trou des Halles.

Équipe technique et distribution

Scénario : Marco Ferreri et Rafael Azcona / Photographie : Étienne Becker / Décors : Luciana Vedovelli / Costumes : Lina Nerli Taviani / Son : Henri Roux / Musique : Philippe Sarde / Montage : Ruggero Mastroianni / Production : Jean Yanne, Jean-Pierre Rassam, Michel Piccoli, Alain Sarde

Avec Marcello Mastroianni : général George Armstrong Custer / Michel Piccoli : Buffalo Bill / Philippe Noiret : général Terry / Francine Custer : Hermine, la fille du général Terry / Catherine Deneuve : Marie-Hélène de Boismonfrais / Serge Reggiani : l'Indien fou / Ugo Tognazzi : Mitch (Mitch Bouyer)

Sur le film, en quelques mots

On pourrait peut-être dire cela : faire un film (du point de vue de l'auteur du film, qui qu'il soit) est une expression. L'expression de quelque chose. Mais le mécanisme du cinéma, c'est enregistrer du son et de l'image. Faire un film c'est donc aussi une impression. On peut ainsi vouloir exprimer ce qu'on imprime (peut-être le film "documentaire" pose-t-il cette question ?), imprimer ce qu'on exprime (peut-être ici plus la notion de "fiction"). Et l'on peut jouer la division : exprimer quelque chose de radicalement distinct de ce qu'on imprime. Jusqu'à l'hétérotopie, terme obscur signifiant en gros placer dans un lieu quelque chose qui ne s'y passe pas, ou ne s'y est pas passé.

La bataille de Little Big Horn (Little Big Man). Un régiment de la cavalerie américaine commandé par le général Custer, a été vaincu et décimé dans une bataille rangée avec des Indiens Sioux et Cheyennes. Bataille légendaire et traumatique pour les américains, dont l'interprétation a beaucoup changé au fil du temps, passant de résistance héroïque du brave général Custer face à des sauvages brutaux et trop nombreux, à acte de grandeur des nations indiennes en lutte contre leur extermination, dont l'infâme général Custer était un des tenants.  C'est aussi en somme la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Le Forum des Halles à Paris. C'est un centre commercial souterrain sur une grande place centrale à Paris. Autrefois, les Halles étaient la place du marché de Paris, le grand marché aux denrées alimentaires, qui alimentait tout Paris. Le quartier voisin, dit le l'Horloge, accueillait bistrots, restaurants, pour les forts des Halles, les manutentionnaires qui chaque matin remplissaient le marché.
On appelait les Halles le ventre de Paris (qui est également le titre d'un roman d'Emile Zola). Autrefois, jusqu'en 1969. A cette date, le marché de Paris a été déplacé en banlieue, à Rungis. Et les Halles détruites, creusées, pour finalement abriter le centre commercial. Le quartier de l'Horloge a également été rasé, pour y voir construit le centre Georges Pompidou, Beaubourg.

En un sens, avec mauvais esprit, on peut dire que la culture et le commerce ont chassé du centre de Paris une vie populaire.

Le chantier des Halles a été spectaculaire : comme un trou d'explosion au centre de Paris, trou qui a été à l'air libre durant de longues années. Une plaie.

Ferreri, à la recherche d'une image, fait le pari suivant : les habitants des Halles sont des Indiens. Les promoteurs sont des industriels capitalistes américains, qui doivent exterminer les Indiens pour assouvir leur soif d'argent. Il faut donc appeler l'armée pour déloger les Indiens, le général Custer. Ferreri aurait pu jouer la carte de l'analogie (tout transformer dans son monde, les industriels américains devenant des chefs d'entreprise français, les Indiens devenant des prolétaires, blousons noirs, gauchistes - il n'y avait pas encore de punks en 1973, et l'armée américaine devenant les CRS. Mais il a joué la carte naturaliste, littérale : voici donc à Paris en 1973 la cavalerie des westerns, des chevaux dans les rues, des tuniques bleues. Les Indiens sont grimés en Indiens. tout le monde se croit dans les montagnes Sioux, mais c'est le Trou des Halles et l'église Saint Eustache.
Le trait est délibérément forcé : Custer est un fat ridicule (notez, comme dans Little Big Man), les industriels sont vraiment des rapaces de la pire espèce, les Indiens sont risibles. L'histoire est là, comme une farce grotesque, avec des Indiens collaborateurs, la jeune oie blanche, la légende de l'Ouest (Buffalo Bill).

Mais voilà, les décors sont "réels" en quelque sorte. Ainsi, on a simultanément une page de l'Histoire américaine, puissante pour les questions qu'elle soulève, une farce grotesque, et des images quasi documentaires d'un moment important de l'histoire de l'urbanisme du XXème siècle.
Et, dans le rire, dans le décalage (les comédiens de ce film sont quasiment tous des stars), nous, à mon sens, spectateurs, avons le choix d'opérer des libres associations, de valider ou non les parallélismes que le film trace, de réfléchir politiquement à comment nos villes et nos états se construisent. C'est-à-dire dans la violence.
Parmi les stars : Marcello Mastroianni (Huit et demi), Catherine Deneuve (Les demoiselles de Rochefort), Michel Piccoli (Mauvais Sang, Le mépris).

>> Mémo Cinéma

>> Ciné-club