Le rendez-vous des quais
Paul Carpita / 1955 / N&B / 1h15 / France
Synopsis
Marseille, 1953. Robert Fournier, jeune docker, veut vivre avec Marcelle, employée dans une fabrique de biscuits. Mais les appartements sont inaccessibles aux finances des deux jeunes gens. Pour obtenir plus facilement un logement, Robert va réduire ses activités syndicales et, lors d'une grande grève, se désolidarisera de ses camarades et deviendra un "jaune". Interdit par la censure, le Rendez-vous des quais ne fut jamais distribué et l'on crut même les copies détruites durant trente-trois ans.
Équipe technique et distribution
Scénario : Paul Carpita / Musique : Jean Wiener / Photographie : Paul Carpita / Assistant-réalisation : Florent Munoz / Coopération technique : Marc Maurette / Son : Paul Boistelle, Marcel Royné / Montage : Suzanne Sandberg, Suzanne de Troye / Producteur délégué : Jacques Hubinet
Avec André Abrias : Robert Fournier (sous le pseudonyme « André Maufray ») / Jeanine Moretti : Marcelle / Roger Manunta : Jean Fournier / Rose Dominiquetti : Mère Fournier / Albert Manach : Jo / Georges Pasquini : Toine / Florent Muñoz : Nique
Sur le film, en quelques mots
Dans le monde d'après, les choses doivent changer : air connu. Après la seconde guerre mondiale, le monde devait changer : plus solidaire, plus pacifique, plus respectueux des droits des travailleurs. Cela n'est pas d'ailleurs complètement faux, le monde, la France, ont bien connu des mutations profondes après guerre. Mais les ouvriers, mineurs, qui ont cru pouvoir obtenir de meilleures vies, qui ont lutté pour l'amélioration de leurs conditions de vie, en ont parfois été pour leurs frais. Et les voix après-guerre qui ont clamé le pacifisme, l'arrêt des guerres coloniales, ont été bien vite recouvertes.
Dès la fin de la seconde guerre mondiale, l'armée française est repartie en campagne, en Indochine (au Vietnam). Cette guerre-là, lointaine, était un peu passée sous silence, en France. On ne la voyait pas. Enfin, certains l'ont vue, les soldats, bien sûr, et aussi les dockers : ce sont eux qui chargeaient les bateaux d'armes pour le Vietnam, et qui déchargeaient les cercueils des soldats morts pour la France. Ils ont fait grève, contre ça, contre la guerre (il ne faut pas taire également les enjeux politiques, luttes contre la colonisation, le soutien de l'URSS et du parti communiste français aux troupes d'Ho Chi Minh), mais grève il y a eu. Longue, dure. Un combat perdu : cette grève (1949-1950) n'a pas arrêté la guerre d'Indochine.
Carpita l'avait vue, dans le port de Marseille. Il avait même filmé : l'embarcation des canons et tanks, le débarquement des cercueils. Il avait vu les mouvements de solidarité et d'organisation qui avaient rendus cette grève possible : comment faire pour vivre en grève, sans salaire, longuement ? Peu après l'échec du mouvement, il a voulu en faire un film, pour en dire la beauté, la puissance (cf. A bientôt j'espère, de Chris Marker, sur ces pages, la phrase conclusive sur la beauté de la culture ouvrière).
Il faut concevoir la simplicité et l'orgueil du geste : "moi, mes amis, tous ensemble, on va faire un film pour dire la beauté de la lutte ouvrière". Et mettre cela en regard de la morgue hautaine qui nous saisit quand on juge un film. Est-il question ici de savoir si c'est bien ou mal interprété, bien ou mal filmé, bien ou mal monté ? C'est la puissance d'une liberté, d'une sincérité, qui saisit quand on voit le film. Et de plus, belle leçon, ce travail d'autodidacte et d'amateur, est absolument précis, très souvent enthousiasmant.
Enfin, le film porte en lui une puissance de document : on y voit la ville et les gens qui y vivent, on y regarde des choses frappantes sur le quotidien de ces années-là.