La grande illusion
Jean Renoir / 1937 / N&B / 1h54 / France
Synopsis
Première Guerre mondiale. Deux soldats français sont faits prisonniers par le commandant von Rauffenstein, un Allemand raffiné et respectueux. Conduits dans un camp de prisonniers, ils aident leurs compagnons de chambrée à creuser un tunnel secret. Mais à la veille de leur évasion, les détenus sont transférés. Ils sont finalement emmenés dans une forteresse de haute sécurité dirigée par von Rauffenstein. Celui-ci traite les prisonniers avec courtoisie, se liant même d'amitié avec Boeldieu. Mais les officiers français préparent une nouvelle évasion.
Équipe technique et distribution
Scénario et dialogues : Charles Spaak et Jean Renoir / Conseiller technique : Carl Koch / Assistants réalisateur : Jacques Becker et Robert Rips / Chef opérateur : Christian Matras / Ingénieur du son : Joseph de Bretagne / Montage : Marguerite Renoir (nouveau montage de restauration réalisé en 1958 par Renée Lichtig) / Musique : Joseph Kosma
Avec Jean Gabin : le lieutenant Maréchal / Dita Parlo : Elsa / Marcel Dalio : le lieutenant Rosenthal / Pierre Fresnay : le capitaine de Boëldieu / Erich von Stroheim : le capitaine puis commandant von Rauffenstein / Julien Carette : Cartier, l'acteur / Georges Péclet : le serrurier / Werner Florian : le sergent Kantz, dit Arthur / Jean Dasté : l'instituteur / Sylvain Itkine : le lieutenant Demolder, dit Pindare / Gaston Modot : l'ingénieur au cadastre
La grande illusion
En 1937, le monde va sûrement à la guerre, la deuxième, la seconde. Renoir a été soldat pendant la première. Les années 30 sont pour lui les années d'un éveil politique, au Socialisme, au Communisme, à la possibilité d'une fraternité entre les hommes. Mais cette fraternité ne se fera pas sans s'arracher, sans sortir de soi, sans s'évader de nos propres déterminismes.
Alors, un peu comme une conséquence logique de tout cela, Renoir réalise La grande illusion, à partir de ses propres souvenirs de guerre, et de ceux de Carl Koch, allemand, ami de Brecht, exilé alors en France.
C'est pendant la guerre de 1914-1918, donc. Une guerre idéalisée, lointaine, chevaleresque. Bien loin de la boucherie épouvantable que fut cette guerre. Néanmoins, ce sont des hommes de toutes nationalités (Anglais, Allemands, Russes, Français), de toutes croyances, de toutes classe sociales, qui se retrouvent là. A se combattre. A se rencontrer. Cela se passe dans des camps de prisonniers. Le combat, pour les prisonniers, c'est de s'évader, de retrouver la liberté, de jouer au chat et à la souris avec les geôliers. Le combat, c'est de s'entraider pour s'évader, entre le parisien et le provincial, le professeur et le paysan, l'ouvrier et le patron, le noble et le roturier, le juif et le catholique. C'est de s'arracher à son humanité pleine de morgue et de méfiance, de devenir autre. Derrière les barreaux, inventer une humanité. Pour détruire ces barreaux, et continuer, transformé, à vivre.
C'est une grande particularité de ce film. Ordinairement, dans un film d'évasion, on s'arrête à la sortie de prison, à l'issue de la fuite. Là, il y a un faux-nez. Evasion, il y a, il faut de plus quitter le pays, se mettre en lieu sûr, mais en chemin, quelque chose d'inattendu se passe, encore une rencontre, qui va un temps suspendre le film de sa nature de film d'évasion. De même, pendant les préparations des évasions, il y a des moments inattendus : le spectacle et le travestissement, la fraternisation entre ennemis, l'insurrection contre les puissants...
Enfin, c'est confondant de richesse, d'humanité, il y a de nombreux fils qui sont tirés, qui se croisent, s'entremêlent, se cassent... Le tout porté par des personnalités fortes (les comédiens Gabin, Fresnay, Dasté, Carette, Dalio, Modot -L'âge d'or-, Dita Parlo -L'Atalante-, et Eric Von Stroheim, réalisateur admiré par Renoir, en gros chassé d'Hollywood, contraint d'être comédien pour manger, et qui crève l'écran, selon l'expression consacrée.
C'est un film sur le Nous : que signifie dire Nous, que pouvons-nous quand nous disons Nous, et que ce Nous s'incarne. Est-ce cela, La Grande Illusion ? Renoir a toujours dit qu'il avait choisi ce titre parce qu'il ne signifiait rien de précis.
Ce film est proposé dans un "cycle", un regroupement, où se trouve également Un condamné à mort s'est échappé, de Robert Bresson. Même cadre : l'évasion de prisonniers militaires durant une guerre. Dans ces deux films, les guerres et leurs enjeux ne sont pas les mêmes, les évasions ne sont pas motivées par les mêmes causes. Certes, le suspense, l'inventivité, l'attention aux détails, la rencontre fortuite sont communes aux récits de deux films, mais parmi les différences de taille, celle du regard de l'auteur, et celle du regard que chaque auteur porte sur le cinéma. Pour Bresson, par exemple, le cinéma(tographe) est l'art de ne rien représenter avec des images (au sens il ne ne s'agit pas de reproduire par des images, de re-présenter, mais de présenter). Le cinéma(tographe) est un art. Renoir, à la question : "Le cinéma est-il un art ?" répondit : "Mais qu'est-ce que ça peut vous faire ?"