Les dernières décennies ont été marquées, dans les démocraties occidentales, par un phénomène à la fois profond et déroutant : la montée en puissance de la figure de la victime.

COMMENT COMPRENDRE LA MONTÉE DE LA FIGURE DE VICTIME

Esprit de Justice - Mercredi 27 mars 2024

Avec
François Azouvi Philosophe, directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS. Auteur de Du héros à la victime : la métamorphose contemporaine du sacré (Gallimard, mars 2024).

Qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de drames historiques ou de violences familiales, c’est désormais à travers les yeux de la victime que nous les abordons. Le phénomène est notable dans tous les secteurs de la société : dans le droit, où la victime se voit accorder une place chaque jour plus importante dans le procès ; dans la littérature contemporaine, qui se concentre sur les malheurs intimes ; dans la politique, enfin, où se montrer à côté des victimes est un impératif absolu.

François Azouvi : "La victime est une catégorie neuve, et on serait tenté, bien sûr, de dire que le contraire de la victime, c'est le héros, mais, oui et non, parce que le héros, en réalité, doit être pensé dans son rapport au martyr avec lequel il fait couple. [...] Le héros et le martyr sont deux catégories qui s'inscrivent dans une sorte de continuum. En réalité, il n'y a pas de réelle césure entre le héros et le martyr."

Si le nom de victime est très ancien, il a pris dans la modernité tardive un sens nouveau qui a fait d’elle une véritable « autorité interprétative » de notre monde pour reprendre l’expression du sociologue allemand, Jan Philipp Reemtsma.

Au risque de transformer la victimité en une qualité ontologique, une nature, ce qui la plonge dans une impasse car, n’étant plus référée à un événement, elle se voit privée aussi de toute issue à sa condition. La grande question n’est pas tant de s’apitoyer sur le triste sort de la victime, mais de savoir comment l’aider à sortir de cette condition.