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La décolonisation

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Les indépendances #3

MOBILISATION NATIONALISTE POUR LA RECONQUÊTE DE LA SOUVERAINETÉ - Le Monde Afrique

[ TEXTE, PICS // 04 minutes ]

Au Maghreb, « des mobilisations nationalistes pour la reconquête d’une souveraineté perdue »


Par Benjamin Stora

Publié le 14 juillet 2020 à 18h00, modifié le 15 juillet 2020 - LE MONDE
Article tiré du hors-série L’Atlas des Afriques, réalisé par les rédactions de La Vie et du Monde Afrique.

Au Maroc, en Tunisie et en Algérie, l’indépendance vis-à-vis de la France a été obtenue au prix d’insurrections plus ou moins longues, rappelle l’historien Benjamin Stora.

 

Une foule d'Algériens manifeste sa joie le 3 juillet 1962 à Alger. Le pays a proclamé son indépendance après la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962 et leur ratification par référendum en France le 8 avril 1962 puis en Algérie le 1er juillet 1962.
Une foule d'Algériens manifeste sa joie le 3 juillet 1962 à Alger. Le pays a proclamé son indépendance après la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962 et leur ratification par référendum en France le 8 avril 1962 puis en Algérie le 1er juillet 1962. AFP

Benjamin Stora est historien, professeur des universités, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie, du Maghreb et de la décolonisation.

Constantine, Sartrouville, Nanterre… Benjamin Stora, une jeunesse française  | Slate.fr

Ses recherches portent sur l'histoire de l'Algérie et notamment la guerre d'Algérie, et plus largement sur l'histoire du Maghreb contemporain, ainsi que sur l'Empire colonial français et l'immigration en France. Il assure la présidence du conseil d'orientation du musée de l'Histoire de l'immigration d'août 2014 à janvier 2020, et fait partie du conseil d'administration de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Entre 1945 et 1965, la décolonisation constitue un événement majeur sur la scène internationale car de nombreux Etats accèdent alors à leur indépendance. Dans les trois principaux pays d’Afrique du Nord, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, la situation est comparable au niveau de l’ampleur des mobilisations nationalistes pour la reconquête d’une souveraineté perdue au temps colonial ; mais elle diffère par le type d’installation des systèmes étatiques après les indépendances.

Au Maroc, les mouvements nationalistes, qui étaient divisés, fusionnent et lancent le 11 janvier 1944 un document intitulé Manifeste du Parti de l’istiqlal (« indépendance »), qui demande « l’indépendance du Maroc dans son intégralité territoriale sous l’égide de Sa Majesté Sidi Mohammed ben Youssef ». Les idées d’indépendance progressent dans tous les centres économiques, et surtout à Casablanca. Le Parti de l’istiqlal attire de nombreux nouveaux adhérents.

L’assassinat du leader syndical tunisien Farhat Hached provoque, le 7 décembre 1952, une grève générale au Maroc. Des centaines de militants du Parti de l’istiqlal et des communistes marocains sont arrêtés. L’état de siège est proclamé, qui supprime la liberté de presse et d’association. Des émeutes éclatent le 16 août 1953 à Marrakech, Casablanca, Oujda. Le sultan, déposé le 19 août 1953 par les autorités françaises, abdique le 20 août.

En août 1955, à l’occasion de l’anniversaire de cette déposition, plusieurs dizaines de Français sont assassinés. Le résident général Gilbert Grandval donne sa démission. En Algérie, la guerre d’indépendance bat son plein avec l’insurrection du Nord-Constantinois, dont l’un des motifs est de protester contre la déposition du sultan du Maroc.

Lutte armée des fellagas

Ce dernier, dorénavant appelé Mohammed V, quitte Paris pour Rabat le 16 novembre 1955. Il est reçu avec enthousiasme par une foule immense. Le 2 mars 1956, une déclaration du gouvernement français « confirme solennellement la reconnaissance de l’indépendance du Maroc, laquelle implique en particulier une diplomatie et une armée ».

En Tunisie, Habib Bourguiba, le principal leader du parti nationaliste tunisien, le Néo-Destour, quitte clandestinement le territoire tunisien le 26 mars 1945 en direction de l’Egypte, où vient de se constituer la Ligue des Etats arabes. En janvier 1946, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) est fondée, dirigée par Farhat Hached. Cette organisation syndicale jouera un rôle considérable et comptera jusqu’à 100 000 adhérents.

Le 18 janvier 1952, Habib Bourguiba est arrêté. Le 5 décembre 1952, Farhat Hached est assassiné. Dans les campagnes, le mouvement de lutte armée des fellagas prend de l’ampleur. Six semaines après la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu, en Indochine, Pierre Mendès France est investi président du Conseil en juin 1954. Le 31 juillet, il prononce à Carthage le discours historique dans lequel « l’autonomie interne de l’Etat tunisien est recouvrée et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français ».

L’indépendance est imminente. Pendant que s’achèvent les négociations franco-marocaines, Bahi Ladgham, Habib Bourguiba et Tahar ben Ammar obtiennent du gouvernement Guy Mollet que soit signé, le 20 mars 1956, le protocole par lequel « la France reconnaît solennellement l’indépendance de la Tunisie ».

Préparer l’insurrection

En Algérie, après le débarquement anglo-américain de novembre 1942, les nationalistes de toutes tendances se regroupent dans une structure unitaire : Les Amis du manifeste et de la liberté (AML), fondée par Ferhat Abbas, auteur en 1943 d’un Manifeste du peuple algérien. L’AML compte près de 100 000 adhérents en 1944.

Le 8 mai 1945, jour de l’armistice, ses membres organisent des manifestations pour l’indépendance de l’Algérie et la libération de Messali Hadj, principale figure du nationalisme algérien et fondateur du Parti du peuple algérien (PPA). La répression à Sétif et à Guelma fait plusieurs milliers de morts. Une nouvelle génération entre en scène, décidée à avoir recours à la lutte armée.

Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qui succède au PPA, emporte les élections municipales d’octobre 1947 et crée, la même année, une organisation militaire secrète chargée de préparer l’insurrection armée : l’Organisation spéciale (OS), qui sera dirigée par Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella.

À la suite de divergences entre le MTLD et l’OS, un troisième courant voit le jour, avec l’objectif de reconstruire l’unité du parti en engageant la lutte armée. Ce sont ses membres qui sont à l’origine du déclenchement de l’insurrection du 1er novembre 1954 contre la présence française. Ils donnent à leur mouvement le nom de Front de libération nationale (FLN).

Le « parti-nation » algérien

Au cours de la guerre d’indépendance, le FLN prend le dessus sur les partisans de Messali Hadj. Après plus de sept ans d’un conflit qui fera des centaines de milliers de morts, l’Algérie accède à son indépendance en juillet 1962.

Les mécanismes du pouvoir qui ont prévalu après les indépendances dans le Maghreb central ont prolongé les histoires longues et complexes des grandes organisations nationalistes constituées au temps de la colonisation française. En Tunisie, la lutte pour l’indépendance s’est incarnée dans un homme, Habib Bourguiba, le « combattant suprême », qui est parvenu à confisquer le pouvoir à son profit, avec son parti, le Néo-Destour. Il faudra du temps pour qu’émerge le principe du pluralisme politique.

En Algérie, l’éviction du « père » du nationalisme, Messali Hadj, a ouvert la voie à la constitution d’un Front (FLN) qui exigera la dissolution de tous les anciens partis, pour former un « parti-nation », véritable parti unique. La situation débouchera sur un coup d’Etat en 1965, qui installera l’armée au centre du jeu politique algérien pour de nombreuses années.

Au Maroc, la tradition du pluralisme politique s’est effacée devant la personnalité du roi, « le commandeur des croyants », devenu symbole religieux dans les combats nationalistes. Un système politico-religieux bâti sur des allégeances à sa personne se mettra en place dès l’indépendance. Le rêve d’une unité politique du Maghreb s’évanouit progressivement.