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Mémo de cours semaine des 09 août et 10 septembre 2021

Nanni Balestrini

Cette semaine, nous avons abordé justement la question de la réappropriation, à partir d'un texte de Nanni Balestrini.

 

Puis, nous avons fait un exercice de collage à partir d'une collection de poèmes.

 

Les textes travaillés :

 

Nanni Balestrini, extrait de Des poulpes pas des mots,
in Chaosmogonie, 2009, traduit de l’italien par Adrien Fische, 2020

 

Des poulpes pas des mots

 

aide-toi et le poulpe t'aidera
en tout il faut considérer le poulpe comme on fait son poulpe on se couche chassez le poulpe il revient au galop

il faut faire poulpe de tout bois
le poulpe du voisin est toujours plus vert
ce n'est pas au vieux poulpe qu'on apprend à faire la grimace un de perdu poulpes de retrouvés

un pour tous chacun pour poulpe poulpe rouge le soir laisse bon espoir qui se hâte trop reste en poulpe
à bon entendeur poulpe

la nécessité fait poulpe
le poulpe est le miroir de l'âme un poulpe averti en vaut deux tel père tel poulpe

le poulpe meurt en dernier
poulpe pluvieux poulpe heureux
le poulpe ne fait pas le bonheur
chacun son poulpe les vaches seront bien gardées

tous les chemins mènent au poulpe
c'est en forgeant qu'on devient poulpe
il faut donner à poulpe ce qui lui revient
ne pas vendre la peau du poulpe avant de l'avoir tué

Nanni Balestrini, extrait de « Des poulpes pas des mots », in Chaosmogonie, 2009 traduit par Adrien Fische, 2020

 

Textes poétique sélectionnés pour découpage

 

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer, Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage, Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer, Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.  

 

Pierre de Marbeuf, 1628

 

#

 

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; J’ai chaud extrême en endurant froidure : La vie m’est et trop molle et trop dure. J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

 

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ; Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi Amour inconstamment me mène ; Et, quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis, quand je crois ma joie être certaine, Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

 

Louise Labé, 1555

 

#

 

la voix distincte
la voix mortelle parmi les sédiments – dans les interstices vocaux une rumeur persiste.

 

Blancheur et le roc maintient l'ascendance – la disponibilité de l'écrit : ce qui se dédit
a lieu. Dans une déperdition du sol, la terre œuvre sur la page, s'élabore, se multiplie
en une cécité seconde ou ternaire.

 

Telle rectitude dans les éclats : plusieurs niveaux s'adonnent à une apparente répétition.

 

Le minéral cerne une réplique de l'incertain – du « il » qui s'efface pour apparaître à nouveau.

 

Une courbe saisit la parole acquise et réitère une absence corporelle – l'invocation se fait matière, se révèle dans une mémoire immédiate.

 

Épiant des formes lointaines, éblouissement circonscrit ou aléatoire de la récidive et l'air s'irradie : bouche fermée.

 

Anne-Marie Albiach, « Blancheur et sédiments », 2004

 

#

 

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur, Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu

C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards.

 

Paul Eluard, 1926

 

#

 

L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos.

Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.

A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.

Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

 

Francis Ponge, 1942

 

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Dans cette géhenne dorée adorée noire fais tes adieux m/a très belle m/a très forte m/a très indomptable m/a très savante m/a très féroce m/a très douce m/a plus aimée, à ce qu'elles nomment l'affection la tendresse ou le gracieux abandon. Ce qui a cours ici, pas une ne l'ignore, n'a pas de nom pour l'heure, qu'elles le cherchent si elles y tiennent absolument, qu'elles se livrent à un assaut de belles rivalités, ce dont j/e m/e désintéresse assez complètement tandis que toi tu peux à voix de sirène supplier quelqu'une aux genoux brillants de te venir en aide. Mais tu le sais, pas une ne pourra y tenir à te voir les yeux révulsés les paupières découpées tes intestins jaunes fumant étalés dans le creux de tes mains ta langue crachée hors de ta bouche les longs filets verts de ta bile coulant sur tes seins, pas une ne pourra soutenir l'ouïe de ton rire bas frénétique insistant. L'éclat de tes dents ta joie ta douleur la vie secrète de tes viscères ton sang tes artères tes veines tes habitacles caves tes organes tes nerfs leur éclatement leur jaillissement la mort la lente décomposition la puanteur la dévoration par les vers ton crâne ouvert, tout lui sera également insupportable.                   

Monique Wittig, Le corps lesbien, (extrait) 1973

 

#

 

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
                        
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
                        
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
                        
- Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

 

Charles Baudelaire, 1857

 

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 L'Eternité

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
                        
 me sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
                        
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
                    
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
                        
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
                        
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

 

Arthur Rimbaud, « L'Eternité », 1872

 

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