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Le rôle de l'art

OUSMANE SEMBÈNE - Le militant à l'œuvre

[ AUDIO // 1h ]

Sembène Ousmane. © Getty images/Rainer Binder/ullstein bild

Ousmane Sembène (1923 - 2007), écrivain, cinéaste contre toute forme de domination

Toute une vie - France Culutre - 2024
Un documentaire de Michel Pomarède, réalisé par Julie Beressi. Prises de sons, Bruno Mourlan et Antony Tomasson. Mixage, Benjamin Vignal. Coordination, Christine Bernard. Attachée de production et édition web, Sylvia Favre-Steyaert.

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La Noire De (A Preta De) - Ousmane Sembene - 1966

Ousmane Sembène (1923-2007) est une figure majeure de la culture africaine et mondiale, souvent surnommé le "père du cinéma africain". Né en Casamance, au sud du Sénégal, il incarne l’esprit de résistance et d’émancipation contre toutes formes de domination coloniale, sociale et culturelle. Sa vie et son œuvre reflètent une lutte profonde pour l’indépendance de l'Afrique et la défense de la dignité humaine, en particulier des classes opprimées et des femmes.

 

Sembène a commencé sa carrière artistique en tant qu'écrivain, marqué par ses expériences personnelles, notamment comme travailleur forcé pendant la Seconde Guerre mondiale et docker en France, à Marseille. Il découvre très tôt les inégalités sociales et l'injustice raciale, ce qui l'amène à développer une conscience politique aiguisée. En 1956, il publie son premier roman, "Le Docker noir", qui expose la condition des immigrés africains en France. Cette première œuvre littéraire est suivie par des romans marquants comme "Les Bouts de bois de Dieu" (1960), une épopée sur la grande grève des cheminots entre Dakar et Bamako en 1947-1948, véritable fresque de la résistance ouvrière et sociale. À travers ses écrits, Sembène devient une voix pour ceux qui sont invisibilisés, dénonçant les injustices du colonialisme et les oppressions postcoloniales.

Cependant, Sembène se rend vite compte que la littérature a ses limites en Afrique, où une grande partie de la population est analphabète. C’est ainsi qu’il se tourne vers le cinéma, un média plus accessible, pour toucher les masses et diffuser son message de libération. Son passage au septième art est motivé par un désir de s’adresser directement à son peuple. En 1963, il réalise son premier court-métrage, "Borom Sarret", suivi de "La Noire de..." (1966), qui remporte le prix Jean Vigo et marque l'histoire en tant que premier long-métrage d’Afrique subsaharienne. Ce film raconte l’histoire tragique d’une jeune femme sénégalaise exploitée en France, symbolisant la continuité des violences coloniales même après les indépendances.

Au fil des années, Sembène utilise le cinéma comme une arme puissante contre toutes formes d’injustices. Ses films tels que "Xala" (1975), qui dénonce la corruption des élites africaines post-indépendance, ou "Camp de Thiaroye" (1988), qui relate le massacre de soldats africains par l'armée coloniale française, sont des œuvres profondément politiques. Il critique non seulement le colonialisme, mais aussi les nouvelles formes de domination économique et sociale imposées par les gouvernements africains corrompus.

Sembène était également un ardent défenseur des droits des femmes. Son film "Moolaadé" (2004), l'une de ses dernières œuvres, traite de la lutte contre l'excision dans les communautés rurales africaines. En plus d'être une dénonciation d'une pratique néfaste, ce film incarne l’espoir et la résistance des femmes face à des traditions patriarcales oppressives.

Le parcours de Sembène est celui d'un combattant infatigable qui a utilisé l'art comme moyen de résistance, en fusionnant le politique et le culturel. À travers sa plume et sa caméra, il a constamment interrogé les structures de pouvoir et plaidé pour une Afrique émancipée, libre de ses chaînes coloniales, de ses propres dérives et de ses injustices internes. Sembène est resté, jusqu'à la fin de sa vie, un fervent défenseur de la liberté et de la justice, convaincu que l’art pouvait être un vecteur de transformation sociale et de libération des consciences.