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Danse
Les grands moment de la création
PINA BAUSCH - Café Müller
[VIDEO] [5 minutes]
CAFÉ MÜLLER - une PARTITION du DÉSIR EMPÊCHÉ
Créée en 1978 par Pina Bausch (chorégraphe allemande ayant révolutionné la danse contemporaine), Café Müller est une œuvre matricielle (fondamentale, qui sert de modèle) du Tanztheater (théâtre dansé, un genre hybride mêlant danse et expression dramatique). Cette pièce, d’une intensité dramatique rare, est une traversée du manque, du désir et de l’empêchement, où les corps semblent errer dans un espace saturé d’objets et de mémoire.
Avec Café Müller, Pina Bausch radicalise (pousse à son paroxysme) son écriture chorégraphique, qui n’est plus fondée sur la virtuosité technique (démonstration de compétence corporelle) mais sur l’intensité existentielle (rapport direct à la condition humaine). Elle donne à voir des êtres en état de dénuement (absence totale de protection), livrés à leurs errances intérieures, dans une scénographie où les objets deviennent des obstacles physiques et symboliques.
Un espace de réminiscence (évocation inconsciente du passé)
La scène figure un café nocturne (lieu de sociabilité, ici vidé de sa fonction première), encombré de chaises et de tables. Cet environnement instable devient une métaphore du psychisme humain, un lieu hanté par des figures qui tentent de se frayer un passage entre l’oubli et la mémoire.
La scénographie (mise en espace visuelle et matérielle de la pièce) est essentielle : le plateau est peu éclairé, baigné dans une pénombre troublante où se déplacent des interprètes en état de somnambulisme chorégraphique (mouvement entre la conscience et l’inconscience, avec une gestuelle relâchée et automatique).
Une dramaturgie du geste empêché
Pina Bausch elle-même, lorsqu’elle interprétait son propre rôle, avançait les yeux clos (abandon total, fragilité volontaire), bras ballants, dans un état de vacuité (absence intérieure). Elle incarne une figure de l’attente et de l’abandon, un être vulnérable évoluant dans un monde où tout contact semble impossible ou inopérant (sans effet, sans réponse).
Un homme en costume noir, personnage récurrent du Tanztheater, traverse la scène avec une précipitation compulsive (action répétée de manière irrépressible), écartant violemment les chaises pour dégager un chemin aux autres danseurs. Ce geste, pourtant bienveillant en apparence, est une manifestation paradoxale de la protection et de la contrainte : il orchestre un parcours pour l’autre mais le prive de toute autonomie (capacité d’agir par soi-même). Un autre duo emblématique de la pièce expose une tentative d’étreinte amoureuse, sans cesse répétée, toujours interrompue, une mécanique obsessionnelle qui donne à voir l’impossibilité de la rencontre, l’amour comme une errance infinie.
Un univers sonore entre lyrisme et désolation
La partition musicale repose sur les œuvres poignantes de Henry Purcell (compositeur baroque anglais du XVIIe siècle), notamment The Cold Song et When I am Laid in Earth. Ces arias (airs chantés dans un opéra, souvent expressifs et poignants) confèrent à l’ensemble une dimension tragique et intemporelle, où la voix humaine semble s’élever comme une plainte venue d’un autre temps.
Le silence joue également un rôle structurant : il isole les gestes, creuse les attentes, amplifie l’angoisse de la chute et l’impossibilité du lien.
Depuis sa création, Café Müller demeure une œuvre incontournable, régulièrement remontée par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch. Elle continue de résonner dans les générations successives d’interprètes et de spectateurs, car elle donne forme à une expérience universelle : celle de la solitude habitée, du souvenir qui façonne le présent et de la quête inassouvie d’un contact véritable.
La pièce repose sur une tension irrésolue entre le désir et son empêchement, entre l’élan vital et la chute programmée, entre le besoin d’étreindre et l’impossibilité de se rencontrer pleinement.
Voici un extrait vidéo :

Pina Bausch (1940 - 2009) est une danseuse et chorégraphe allemande, fondatrice de la compagnie Tanztheater Wuppertal en résidence en Allemagne.
Elle est considérée comme l’une des principales figures de la danse contemporaine et du style Danse Théâtre, en tant que nouveau genre chorégraphique. L’une des caractéristiques centrales de ce style est de se concentrer sur des sujets quotidiens en les incluant dans un contexte social.
Lors de ses fréquents et longs séjours à l'étranger, Pina Bausch s’inspire de son environnement – et de ses danseurs venant tous de pays différents. Elle développe de nouvelles créations en collaboration avec des danseurs et chorégraphes locaux.
Durant une quinzaine d’années, elle crée ainsi des œuvres inspirées des grandes villes ou des pays du monde où elle séjourne, invitée avec sa compagnie en résidence, afin de s’imprégner de l’atmosphère des lieux :
- Budapest et la Hongrie (Wiesenland)
- Palerme et la Sicile (Palermo, Palermo)
- Istanbul et la Turquie (Néfes)
- Tokyo et le Japon (Ten Chi)
- Lisbonne (Masurca Fogo)
- Hong Kong (Le Laveur de vitres)
- Madrid (Tanzabend II)
- Rome (Viktor en 1986, puis O Dido en 1999)
- Los Angeles et le Texas (Austin)
- Séoul (Nur du)
- Corée du Sud (Rough)
Contrairement à ses contemporains, Pina Bausch travaillait non pas par rapport à des formes à reproduire, des pas bien définis, mais par rapport à l’anatomie du corps de chacun, aux possibilités qui sont données ou non aux corps.
Elle interroge ses danseurs pendant tout le processus de création et creuse la vie de chacun, leur passé, pour les faire danser. Elle dénonce les codes de la séduction, la solitude dans le couple, et travaille sur la communication dans les rapports hommes-femmes. C’est une vision très pessimiste qui s’exprime par des petits gestes anodins répétés ou par l’accumulation des danseurs sur scène. Souvent, dans ses spectacles, une femme reste impassible et engage une rupture ou une transition vers une autre scène.
Les « rondes à la Pina Bausch » désignent ces petits gestes repris par les hommes ou les femmes ou les deux, une sorte de signature, même si elle les utilise moins en fin de carrière.
Une autre marque est la fluidité qu’elle développe sur le haut du corps, induisant de grands mouvements de bras, la souplesse du buste et des jeux récurrents avec les cheveux souvent très longs de ses danseuses. C’est un des exemples de langage ou de style par lesquels les chorégraphes ou les danseurs ont fait exister une autre danse. Dans l’attention aux détails, ses chorégraphies, organisées le plus généralement sous forme de petites scènes, décrivent les émotions, notamment dans les rapports entre les hommes et les femmes, souvent teintés d’érotisme léger. Un autre aspect central du travail de Pina Bausch réside dans une recherche scénographique très élaborée et généralement particulièrement spectaculaire :
- montagne de fleurs
- champs d’œillets
- parois végétales
- bateau
- rochers massifs
- rivières et cataractes d’eau
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