Compendium

Histoire du rap

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Une histoire du rap #1

LES ALBUMS QUI ONT CHANGÉ LE RAP // 1980 - 1991

[ TEXTE, PICS, VIDEO // temps non calculé ]

Les albums qui ont changé le rap

Par Brice Miclet
[Paru dans Qobuz magazine le 20 septembre 2023]

Partie 1 (1980 - 1991)

Des premiers pas discographiques de Kurtis Blow au sommet commercial de Three 6 Mafia en passant par les ténèbres de Mobb Deep ou le gangsta rap de N.W.A., voici un panorama du genre en trois parties, qui s’intéresse cette fois aux fastueuses années 90. Ceci est la partie 1.

Kurtis Blow – Kurtis Blow (1980)

 

Il fut un temps où le rap, prenant ses marques dans le paysage musical américain, s’inspirait ouvertement des genres voisins pour se créer une base sonore. Le premier album de Kurtis Blow en est l’illustration. Le rappeur originaire de Harlem prenait le funk et le disco comme socle pour faire transpirer les foules, mettant en exergue l’aspect fiévreux et lumineux de ce style que les Etats-Unis, New York en tête, se prenaient alors pleine face.

Le titre The Breaks est certainement l’un des plus grands classiques du rap des années 1980, fêtard et irrévérencieux, mêlé au rock sur Taking Care of Business (tout simplement une reprise de Bachman-Turner Overdrive) ou la soul sirupeuse sur All I Want in This World (Is to Find That Girl). Une pierre angulaire.

 

Kurtis Blow
Kurtis Blow
Parution chez Island Mercury le 1er janvier 1980
R&B - 9 Titres - 50mn 24s

 

À l’époque old school du hip-hop – environ 1978-1982 – les albums étaient l’exception et non la règle.

Le hip-hop est devenu beaucoup plus axé sur les albums avec la montée en puissance de sa deuxième génération (Run-D.M.C., Whodini, les Fat Boys, entre autres) vers 1983-1984, mais au début, de nombreux MC n'enregistraient que des singles.

Deux exceptions étaient le Sugarhill Gang et Kurtis Blow, dont le premier album éponyme de 1980 figurait parmi les premiers LP du hip-hop et fut le premier album de rap à sortir sur un label majeur.

Ainsi, Kurtis Blow a une valeur historique sérieuse, même si elle est légèrement inégale. Certains morceaux sont superbes, notamment "The Breaks" (un succès du Top Five R&B en 1980) et "Rappin' Blow, Part Two", qui est la seconde moitié du premier single de Blow de 1979, "Christmas Rappin'". Et "Hard Times" est un joyau puissant dans lequel Blow aborde les problèmes sociaux deux ans avant que Grandmaster Flash & the Furious Five ne popularise le rap sociopolitique avec le sobre "The Message" de 1982.

Certains autres morceaux sont cependant corrects mais pas remarquables. Passant du rap au chant, Blow fait un détour par la soul  sur la ballade influencée par les Chi-Lites "All I Want in This World (Is to Find That Girl)" et le rock sur une reprise inattendue de "Takin' Care" de Bachman-Turner Overdrive.

"Bien que ces sélections soient sympathiques et plutôt intéressantes, combien d’autres rappeurs de la vieille école ont tenté de chanter de la soul, sans parler du rock ? - il n'en demeure pas moins que le rap, et non le chant, est le point fort de Blow. Et Mercury a vraiment fait une erreur en ne fournissant que la seconde moitié de « Christmas Rappin' » ; ce single historique aurait dû être entendu dans son intégralité. Mais malgré ses défauts et ses défauts, Kurtis Blow est un album important que les historiens du hip-hop devraient se faire un devoir d'entendre. © Alex Henderson/TiVo

 

 

 

 

 

Run-DMC – Raising Hell (1986)


Wu-Tang Clan (Method Man, GZA, Ol' Dirty Bastard, RZA, Raekwon), Staten Island, New York City, 1993

De Raising Hell, troisième album de Run-DMC, le grand public se souvient surtout du duo avec le groupe de hard rock Aerosmith pour le morceau Walk This Way. Les amateurs de rap, eux, se rappellent de ce breakbeat hallucinant sur le titre d’introduction, Peter Piper, marquant à sa façon l’entrée du hip-hop dans une nouvelle ère sonore et technologique.

La précision du rythme, du sample, en fait un moment important dans l’histoire du rap. Le trio new-yorkais produit par Russell Simmons et Rick Rubin régnait sur la concurrence, sapés en survêt Adidas, chaînes en or qui brillent, déjà dans une démarche mercantile assumée et transformée en intention artistique.

Les flows de Rev Run et de DMC sublimaient les productions de Jam Master Jay, leur DJ mort en 2002 et considéré comme un pilier.

 


Raising Hell
RUN DMC
Parution chez Arista le 1 janvier 1986
Hip-Hop/Rap - 12 Titres - 39m 45s

 

Après King of Rock, il ne manque plus qu'un tube imparable pour assurer une consécration internationale à Run-D.M.C. Ce succès, le groupe va aller le chercher dans une reprise de « Walk This Way » sorti dix ans plus tôt par Aerosmith. En vidéo, un Steven Tyler haut en couleur tranche avec les deux rappeurs tout de noir vêtus, mais l'improbable mariage fonctionne tout autant visuellement que musicalement.

Le morceau devient un classique et la preuve irréfutable que rock et rap sont faits pour s'entendre. Le reste de Raising Hell reprend l'efficace formule du trio avec beatbox et riffs de guitare, illustrée parfaitement par « It's Tricky ».

Run et D.M.C. y sont toujours aussi à l'aise pour dispenser des textes dynamiques qui se répondent harmonieusement. Autre morceau qui change le cours de l'histoire : « My Adidas », hymne des amateurs de tennis. Le groupe y célèbre les « Superstars » sans lacet dans une ode qui marque toute une génération ; les rappeurs deviennent d’ailleurs les premiers sous contrat avec une marque de chaussures, pratique commerciale qui se répandra par la suite. Raising Hell clôt la première période du groupe en fanfare. Le hip-hop et Run-D.M.C. ne seront plus tout à fait pareil par la suite... ©Copyright Music Story 202

 

 

 

 

Beastie Boys – Licensed to Ill (1986)


Ad-Rock (Adam Horovitz), MCA (Adam Yauch) and Mike D (Mike Diamond), 1994


Alors que le rap et le rock ne cessaient de flirter durant la première moitié des années 1980, les Beastie Boys vont les marier en basant leur esthétique sur le mélange des genres avec leur premier album Licensed to Ill. Archétype du son Def Jam, joignant leur passé punk aux techniques de production hip-hop, les trois larrons nommés Mike D, MCA et Ad-Rock pillent les influences hardcore de tous bords, échantillonnent Black Sabbath ou Led Zeppelin, et parviennent à réaliser un exploit, celui d’être n°1 des ventes dans tous les Etats-Unis avec un album de rap. Une première.

 


Licensed To Ill
Beastie Boys
Parution chez Def Jam Recordings le 1 janvier 1986
Hip-Hop/Rap - 13 Titres - 44m 25s


La fusion du rock et du rap est en marche. A coup de beats lourds et de riffs de guitares efficaces, les Beastie Boys posent les bases de leur style énergique hérité de leur passé punk et de l’apport rap de leur producteur et DJ, Rick Rubin.

Ce premier album bat tous les records de ventes pour un disque de rap en restant en tête des ventes pendant sept semaines aux Etats-Unis. Les voix semblent déjà se compléter et se répondre sur des sujets aussi sérieux que la vie d’un adolescent des rues ou aussi léger que le droit de faire la fête. Cette polyvalence leur permet de s’attirer un large public qui se sent forcément concerné, même s’il rejette certains titres musicalement douteux tels que «Girls».

Commercialement, le côté décalé est surtout mis en avant avec le single «Fight for your right (to party)» au refrain entraînant et universel. A l’époque, seul Run DMC, dont le trio est proche, a tenté cette fusion avec le rock. Sur Licensed to ill, les Beastie Boys leur empruntent «Slow and low», titre non retenu de l’album King of rock sorti un an plus tôt. Malgré le succès, des désaccords avec Rick Rubin au sujet des royalties mettront fin à leur collaboration ainsi qu’au contrat avec le label Def Jam. ©Copyright Music Story 2016

 

 

 

 


Eric B. & Rakim – Paid in Full (1987)

Eric B. & Rakim ©Michael Ochs Archives/Getty Images

S’il fallait faire un classement des plus grands MC de l’histoire, Rakim pourrait bien figurer en première place. « Thinkin’ of a master plan / ‘Cause ain’t nothin’ but sweat inside my hand » demeure l’une des phrases les plus connues du rap américain, mise en bouche du morceau Paid in Full, qui donne son nom au premier album du duo complété par le producteur Eric B. Le rappeur expose sa science consistant à pondre des textes virulents et criants de vérité sans tomber dans la vulgarité gratuite ou la provocation ostentatoire. Eric B. & Rakim incarnent un changement d’ère, de paradigme et d’esthétique pour le rap East Coast des années 1990. Et au-delà.

Paid In Full (Deluxe Edition)
Eric B. & Rakim
Parution chez Island Records (The Island Def Jam Music Group / Universal Music) le 7 juillet 1987
Hip-Hop/Rap - 21 Titres - 01h 45m 41s

 

L'un des albums de rap les plus influents de tous les temps, Paid in Full d'Eric B. & Rakim ne cesse de croître en stature en tant que disque qui a inauguré l'ère moderne du hip-hop.

La production épurée peut sembler un peu dépouillée aux oreilles modernes, mais la technique de Rakim au micro semble toujours tout à fait contemporaine, voire à la pointe de la technologie - et cela à partir d'un disque sorti en 1987, juste un an après Run- D.M.C. ait frappé le grand public.

Rakim invente essentiellement une technique lyrique moderne au cours de Paid in Full, avec ses rimes internes complexes, ses images lettrées, son flux velouté et ses rythmes imprévisibles et décalés. 

Les morceaux clés ici sont certains des singles de rap les plus légendaires jamais sortis, à commencer par les premiers côtés du duo, "Eric B. Is President" et "My Melody". "I Know You Got Soul" a lancé à lui seul l'engouement du hip-hop pour les samples de James Brown, et Eric B. & Rakim l'ont complété avec "I Ain't No Joke", une superbe démonstration de virtuosité lyrique. Le titre coupé, quant à lui, a semé les graines des obsessions matérielles du hip-hop sur un rythme monumental. 

Il y a aussi trois DJ showcases pour Eric B., qui, comme Rakim, figurait parmi les leaders techniques dans son domaine. Si le sampling est la forme d’admiration la plus sincère dans le hip-hop, Paid in Full est positivement vénéré. Pour n'en nommer que quelques-uns : le "pump up the volume" de Rakim, extrait de "I Know You Got Soul", est devenu la base du morceau de danse révolutionnaire de M/A/R/R/S ; Eminem, un étudiant dévoué de Rakim, a repris des lignes de « As the Rhyme Goes On » pour le refrain de son propre « The Way I Am » ; et le morceau de percussions de « Paid in Full » a été samplé tellement de fois qu'il est presque impossible de croire qu'il avait un point d'origine. Paid in Full est une écoute essentielle pour quiconque s'intéresse, même de loin, aux fondements musicaux de base du hip-hop - c'est la forme dans sa plus pure essence. © Steve Huey/TiVo

 

 

 

Public Enemy – It Takes A Nation of Millions to Hold Us Back (1988)


© David Corio / Getty Images


Public Enemy est un groupe à part dans l’histoire du rap américain. A son époque, il fut l’un des plus virulents, l’un des plus radicaux, tout en remportant un succès commercial et critique massif. Sur leur deuxième album, Chuck D et Flavor Flav entraient dans une nouvelle dimension populaire et polémique, armés d’un maniement des samples inédit, très inspiré de la fureur rock et des musiques électroniques naissantes. Don’t Believe the Hype, Bring the Noise, Rebel Without a Pause, Prophets of Rage… Leur titre sont des slogans ravageurs. Lorsque l’on pense à l’aspect contestataire du rap, c’est bien souvent ce groupe et cet album qui sont cités en exemple.

 


It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back (Deluxe Edition)
Public Enemy
Parution chez Def Jam Recordings le 28 juin 1988
Hip-Hop/Rap - 29 Titres - 01h 42m 44s


Pour beaucoup, ce deuxième album de Public Enemy est le plus grand disque de l’histoire du rap. Et lorsqu’il débarque dans les bacs des disquaires en 1988, It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back consacre la bande de Chuck D comme les Rolling Stones du hip hop. Véritable uppercut qui chamboula l'histoire du genre, Public Enemy demeure grâce à ce disque LA référence en matière d'engagement idéologique ET musical. Offrant une version black et sans langue de bois de CNN, auscultant chaque recoin de la société américaine à coup de rimes (très) riches et de millefeuilles de samples lettrés et souvent carnassiers, PE impose ses mots mais aussi ses sons. Une approche agressive de la production (la Bomb Squad pilotée par le producteur Hank Schocklee) qui fait des miracles sonores.

Un tsunami électrique et groovy, à des années lumières du rap bling bling qui prendra le contrôle d’un genre musical qui vit alors, en 1988, son âge d’or créatif. Cette Deluxe Edition comprend un second disque de treize bonus incluant notamment la version No Noise de Bring The Noise, des instrus de Rebel Without a Pause, Night Of The Living Baseheads et Black Steel In The Hour of Chaos et la version B.O. du titre Fight The Power du film éponyme de Spike Lee. © MZ/Qobuz

 

 

 

 

N.W.A. – Straight Outta Compton (1988)

MC Ren, DJ Yella, Eazy-E & Dr. Dre (NWA), 1991, New York (NY) © Douglas R. Burrows / Los Angeles Times

Pendant une décennie, New York a régné sur le rap américain. Mais à partir 1987, plusieurs noms vont venir disputer l’hégémonie : Ice-T, MC Hammer, Too $hort, mais surtout N.W.A., groupe sorti d’une banlieue sud de Los Angeles, Compton. Ses membres se nomment Ice Cube, Dr. Dre, Eazy-E, DJ Yella, Arabian Prince, Krazy Dee et MC Ren. Avec leur premier album Straight Outta Copton, ils popularisent le gangsta rap qu’ils ont contribué à créer, enchaînant les brûlot dirigés contre les forces de l’ordre sur Fuck Tha Police, la violence de leur environnement sur Gangsta Gangsta, et le trafic sur Dope Man. Censurés, combattus par l’establishment, les N.W.A. mèneront également des carrières solo marquantes, transformant leur formation d’origine en plaque tournante du rap West Coast.

 

Straight Outta Compton
N.W.A
Parution chez Priority Records le 8 août 1988
Hip-Hop/Rap - 13 Titres - 01h 00m 25s

 

N.W.A, trois lettres évoquant sans aucun doute controverse, gansta rap, Parental Advisory, mais rappelant tout autant à l'esprit les noms de Dr Dre et Ice Cube, devenus superstars du genre dans le sillage de ce Straight Outta Compton de 1988. Ebauche aboutie de ce qu'allait devenir la scène hip-hop West Coast dans les années à venir, Straight Outta Compton, à défaut d'avoir élevé le niveau littéraire du genre, a imposé le gansta rap comme une sorte de version blockbuster ultraviolente et misogyne du genre, à des lieues d'un mouvement Daisy Age new-yorkais bien plus pacifique, mais capable d'écouler des disques par millions par son impact sur l'imaginaire collectif, toujours prégnant dans le nouveau millénaire. © KM/Qobuz

 

 

 

De la Soul – 3 Feet High and Rising (1989)


Posdnous, Maseo and Trugoy The Dove (De La Soul), Harlem, 1993 © David Corio

A la fin des 80′s, alors que le gangsta rap fait rage et que les esthétiques hardcore infusent tout le hip-hop, De La Soul se place à contre-courant, fleurs et couleurs vives dehors, positivité et malice en étendard. Sous la houlette du producteur Prince Paul, les trois rappeurs Trugoy The Dove, Posdnuos et Maseo publient leur premier album et se font rapidement qualifier de « hippies » par une presse rock désireuse de classer les autres musiques selon ses propres critères. Pourtant, il serait insultant de les réduire à cette expression. 3 Feet High and Rising recèle un savoir-faire technique rare, une maîtrise du sampling et du collage audible sur des classiques tels que Me Myself and I, Say No Go ou Potholes in My Lawn.


3 Feet High and Rising
De La Soul
Parution chez AOI Records le 3 mars 2023
Hip-Hop/Rap - 22 Titres - 01h 01m 25s

 

Il y avait des disques hip-hop comiques avant le premier album de De La Soul. Il y avait des rythmes qui repoussaient les limites non seulement de ce que la technologie d'échantillonnage pouvait faire, mais aussi de la provenance de ces échantillons et de la manière dont ils s'opposaient les uns aux autres. Il y avait des paroliers qui s'éloignaient tellement des schémas de rimes ABAB du rap de base que cela faisait exploser le potentiel de nouveaux flux et de nouvelles structures. Et il y avait des excentriques – des artistes qui ne semblaient adhérer à aucune formule hip-hop existante en termes de style, de perspective ou d’attitude parce qu’ils ne pouvaient être personne d’autre qu’eux-mêmes. Mais 3 Feet High et Rising ont fait toutes ces choses à un degré si surprenant pour un premier album que son barrage d'idées audacieusement nouvelles et uniques a planté un drapeau que personne n'a été capable de déraciner complètement.

Les rappeurs Posdnuos et Trugoy, le DJ/coproducteur Maseo et le beatmaker Prince Paul ont réalisé un travail qui aurait pu laisser plus de gens se gratter la tête avec perplexité s'il n'avait pas également solidifié l'attrait de la souche bohème émergente du hip-hop. C'est peut-être parce qu'on s'appuie autant sur des détournements de musique pop référentielle familiers mais transformateurs (Steely Dan sur "Eye Know"; Hall & Oates sur "Say No Go") que sur le genre de bêtise sublime de creuseur de caisses qui donne une joie caricaturale aux coupes. comme le "Plug Tunin' (Last Chance to Comprehend)" aux genoux tremblants qui nage la tête ou le doux mélange soul-jazz des premiers membres de l'équipe Native Tongues "Buddy". Même les interstitiels conviennent, aussi étranges soient-ils - des sketches loufoques sur les odeurs corporelles ("A Little Bit of Soap") et la mode dépassée ("Take It Off") s'ajoutent à leur approche juste du rap sur n'importe quoi qui agit à la fois un défi artistique relevé et un peu de décontraction décontractée.

 

De La Soul prendrait grand soin de contrôler et de définir sa propre image aux multiples facettes, culminant avec le single à succès "Me Myself and I", qui déclare leur attitude défensive face au fait d'être perçus comme des poseurs artificiels de la mode hippie tout en faisant également un clin d'œil à une idée clairement idiote et pourtant- profond précédent musical chez Funkadelic. Mais il suffit de quelques écoutes attentives de 3 Feet High et Rising – et de la complexité lyrique et de la narration dans des coupes profondes comme l’analyse empathique de la lutte sociale « Ghetto Thang » et le « Tread Water » qui reste posi fable – pour réaliser ils seraient impossibles à cerner pour le reste de leur carrière. © Nate Patrin/Qobuz

 

 

 

 

A Tribe Called Quest – The Low End Theory (1991)

Ali Shaheed Muhammad, Phife Dawg & Q-TIp (A Tribe Called Quest)

Dans la continuité de De La Soul, un autre groupe new-yorkais venait contrer les ténèbres ambiantes : A Tribe Called Quest. Mais la comparaison s’arrête là tant le duo composé de Q-Tip et Phife Dawg apportait sa singularité, dans leurs voix caractéristiques certes, mais aussi dans le traitement des batteries, dans ces échantillons suaves. A Tribe Called Quest, c’est l’art du contraste, illustré sur leur deuxième album The Low End Theory, emmené par les singles Check the Rhime et Scenario. Leur goût pour le storytelling, hérité des années 1980, les place en garants modernes d’une tradition rap encore aujourd’hui bien ancrée.

The Low End Theory
A Tribe Called Quest
Compositeur : Kamaal Fareed
Parution chez Jive le 24 septembre 1991
Hip-Hop/Rap - 14 Titres - 47m 57s

 

Cet album, qu’on pourrait considérer comme un point de passage entre De La Soul et The Roots ou Common, est une deuxième réussite parfaite pour ATCQ et leur rap intelligent, souvent abstrait (Kamaal The Abstract va devenir dès lors le surnom courant de Q-Tip), et toujours teinté d’humour et de second degré. Puisant encore dans le jazz l’essence de leur son boisé et sinueux, samplant The Last Poets, Art Blakey, mais aussi Jimi Hendrix à plusieurs reprises, le Steve Miller Band ou Average White Band, ils échafaudent plusieurs couches de beats pour constituer ces raps qui deviennent des chansons avec le flow musical de Q-Tip.

À la fois minimaliste et riche, ce disque dans lequel on s’enfonce comme dans une moquette épaisse recèle sous ces apparences nonchalantes de véritables bombes à fragmentation, qui insinuent leur perpétuité dans la mémoire collective. Ainsi ces dialogues entre Q-Tip et Phife, en parfaite osmose sur « Check The Rhime » et tout au long des 14 titres. On termine en beauté avec le renfort des Leaders Of The New School d’où émerge déjà un leader naturel et ami de la famille, appelé à une formidable carrière en solo : Busta Rhymes, brillant sur « Scenario ». ©Copyright Music Story 2016