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Histoire du rap

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Une histoire du rap #2

LES ALBUMS QUI ONT CHANGÉ LE RAP // 1991 - 2001

[ TEXTE, PICS, VIDEO // temps non calculé ]

Les albums qui ont changé le rap

 

Par Brice Miclet
[Paru dans Qobuz magazine le 25 septembre 2023]
 

Partie 2 [1991-2001]

 

Des premiers pas discographiques de Kurtis Blow au sommet commercial de Three 6 Mafia en passant par les ténèbres de Mobb Deep ou le gangsta rap de N.W.A., voici un panorama du genre en trois parties, qui s’intéresse cette fois aux fastueuses années 90.  Ceci est la partie 2.

Dr. Dre – The Chronic (1992)

 

Snoop Dog &Dr. Dre, Regal Theater, Chicago, Illinois, 1993 © Raymond Boyd

« This is dedicated to the n****s that was down from day on. » Une porte de prison se ferme. « Welcome to Death Row. » Voici l’une des introductions les plus fameuses du rap américain, et un album qui a changé le genre.

Le premier disque solo de Dr. Dre, échappé de N.W.A., est le monument du gangsta rap et du G-funk par excellence. Avec ses basses et mélodies composées au Moog, ses samples piochés dans la musique californienne et son mix soyeux, The Chronic pose des ambitions commerciales sans précédent.

Il est également l’avènement du replay, cette façon de prendre un sample, de le modifier, puis de le rejouer, apportant un son plus clair et permettant de contourner certaines législations. La bande-son du rap West Coast, dont le titre Nuthin’ But A ‘G’ Thang demeure un archétype, en featuring avec un jeune rappeur nommé Snoop Dogg, qui va casser la baraque l’année suivante avec son premier album Doggystyle.

 

The Chronic
Dr. Dre
Parution chez ARY, Inc. under exclusive license to Interscope Records le 15 décembre 1992
Hip-Hop/Rap - 16 Titres - 01h 02m 39s

The Chronic, qui a fait son entrée au printemps 2020 dans les archives de la bibliothèque du Congrès de Washington, est un véritable classique du genre, avec un avant et un après. À peine émancipé du groupe N.W.A., brouillé avec son meilleur ennemi Eazy-E, Dr. Dre fonde Death Row Records avec le controversé Suge Knight. Il ne manque plus qu’un premier album pour lancer la future écurie du rap West Coast. Dre patine mais l’écoute d’une démo de Snoop Dogg, alors inconnu au bataillon et qu'il décrit d'emblée comme "un diamant brut à polir", le décide illico à rameuter le jeune dealer de Long Beach dans sa maison vide de Calabasas. Là-bas, en sous-sol, avec Nate Dogg et Warren G, Dre et Snoop vont élaborer 16 pistes associant gangsta rap des Niggas With Attitude et maîtres funk des 70's. Et lancer le G-funk, en somme.

 

Wu-Tang Clan – Enter the Wu-Tang (36 Chambers) (1993)

Wu-Tang Clan (Method Man, GZA, Ol' Dirty Bastard, RZA, Raekwon), Staten Island, New York City, 1993 © Getty Images

Alors que sur la côte ouest, Dr. Dre soignait le son et le rendait limpide, RZA, lui, faisait tout le contraire. La tête pensante du Wu-Tang Clan new-yorkais la jouait cradingue, sombre, tordu, sublimant la saleté pour bâtir le premier album du groupe, Enter the Wu-Tang (36 Chambers).

Voici l’album qui fait entrer le hip-hop dans une nouvelle ère, celle des rythmes plus lents, plus lourds, définitivement axé sur la description sans fard de la rue et de sa virulence. La fureur de Ghostface Killah, la folie d’Ol’ Dirty Bastard, le rigueur de Method Man, la précision de GZA

Ses membres atteignent un pic de complémentarité, sorte de tremplin vers une discographie commune riche, mais aussi des albums solo remarquables.

 

Enter The Wu-Tang (36 Chambers)
Wu-Tang Clan
Parution chez RCA Records Label le 9 novembre 1993
Hip-Hop/Rap - 15 Titres - 01h 10m 49s

Cet album tirant son nom du film de la Shaw Brothers de 1978 The 36th Chamber of Shaolin est également à l’origine de la résurgence de New York City sur l’échiquier du Hip-Hop. Malgré un contenu textuel très dense et des instrumentaux au mixage douteux car réalisés par RZA avec les moyens du bord, le groupe rencontre un énorme succès, l’album étant certifié platine le 15 mai 1995.

Les rappeurs étant souvent ensembles lors des séances d’enregistrement, RZA devait déterminer lesquels seraient présents sur les morceaux en les faisant s’affronter. Un de ces duels se retrouvent sur le morceau « Meth Vs. Chef » qui sera présent sur le premier album de Method Man. Cela fut plus simple pour le premier pressage du premier maxi du Wu, où chaque rappeur ayant participé à hauteur de cent dollars pouvait poser sur le morceau « Protect Ya Neck ». Il est  sélectionné avec « C.R.E.A.M. » par le magazine The Source parmi les 100 meilleurs singles rap de tous les temps.

L’Amérique n’aurait pas dû être prête pour une telle tempête au microphone mais c’était compter sans la somme d’individualités extrêmement talentueuses au sein du groupe, transgressant les barrières musicales et faisant de ce premier coup sur l’échiquier du rap un mat fatal. ©Copyright Music Story 2021

 

Nas – Illmatic (1994)

Nas, 2Pac & Redman, New York City © Al Pereira/Michael Ochs Archives/Getty Images

Illmatic est gris, comme les murs de la Grosse Pomme. Premier album de Nas, alors âgé de 20 ans, sculpté par une équipe de producteurs tels que DJ Premier, Large Professor, Q-Tip et Pete Rock, ce disque est une sorte d’archétype du rap East Coast. Entre ces architectes, une compétition va se mettre en place, poussant chacun à faire mieux que le voisin, à rendre le protagoniste plus brillant encore. Represent, N.Y. State of Mind, The World Is Yours, One Love, It Ain’t Hard to Tell… Tous les morceaux sont des classiques, résumés en une phrase restée dans toutes les mémoires : «I never sleep ‘cause sleep is the cousin of death.»

Illmatic
Nas
Parution chez Columbia le 18 avril 1994
Hip-Hop/Rap - 10 Titres - 39m 44s

 

Début 1994, Nas surgissait sur la scène rap avec un premier album choc, Illmatic, un des disques essentiels de l’âge d’or du hip-hop new-yorkais. Dès ce premier album produit par Pete Rock, Q-Tip, DJ Premier et Large Professor, Nas offrait une peinture poétique et nuancée de la vie dans la cité de Queensbridge. Il ouvrait surtout la voie à Notorious BIG, Jay-Z et toute une nouvelle génération de rappeurs new-yorkais... © MZ/Qobuz


 

Mobb Deep – The Infamous (1995)

 

Havoc pourrait bien être le plus grand rappeur/producteur de l’histoire du rap new-yorkais. Prodigy, lui, figure parmi les meilleurs lyricistes du genre. A eux deux, ils forment Mobb Deep, un groupe hardcore et droit dont le deuxième album, The Infamous, enfonce le hip-hop plus loin encore dans la noirceur. Rares sont les disques qui ont eu autant d’influence en termes de production, balayant les conventions des dix années précédentes, à la fois sec, froid, et surtout très technique. Shook Ones, Part. II est souvent considéré comme l’un des plus grands morceaux de rap, suivi de près par le pénétrant Survival of the Fittest, deux chansons qui racontent une vie de violence et de revanche.

 

The Infamous
Mobb Deep
Parution chez RCA Records Label le 25 avril 1995
Hip-Hop/Rap - 16 Titres - 01h 06m 52s

The Infamous est une chronique urbaine, froide, implacable, l'enfer vu par deux jeunes à peine sorti d'une adolescence à Queensbridge Houses, groupe d'immeubles rongés par la criminalité. Là où The Infamous tranche avec la majeure partie de la production gangsta rap, c'est dans son économie d'effets faciles. Pas de bruits de rue intempestifs, peu de bruitages réalistes tonitruants, pas de fuck ou de nigga toutes les rimes. Prodigy assène son récit d'un flow plutôt tranquille, les mots se suffisent à eux-même, pas la peine d'en rajouter. Le résultat n'en est que plus saisissant.

Les rythmiques concoctées par Havoc sont d'une originalité inusitée dans le rap hardcore. Breakbeats filtrés, séquences mélodiques venues de la musique classique, boucles hypnotiques très atmosphériques, un grand producteur se révèle ici. Si The Infamous ne contient évidemment aucun titre formaté radio, ni tube pour robinet à clips, « Shook Ones Pt. II » devient la signature indélébile de Mobb Deep. ©Copyright Music Story Francois Alvarez 2021

 

 

Lil’ Kim – Hard Core (1996) [Explicit]


Notorious BIG, Lil Kim & le 112 (Marvin Scandrick, Quinnes Parker, Daron Jones & Michael Keith) © Nitro/Getty Images


Lil’ Kim a trop souvent été prise à la légère. Peut-être parce que son rap lumineux, paré de paillettes, de rythmes old school et mélodiques, prenait le contrepied de la dépression ambiante. Et parce qu’elle était une femme parlant de sexe, irrévérencieuse. Son premier album paru en 1996 et baptisé Hard Core a fait date, contant les amours humides, explicites, et faisant d’elle l’une des vocalistes les plus importantes de son époque. La plus injustement critiquée également. Car Hard Core brille par ses beats funk comme ceux de Crush On You, Dreams ou Drugs

Mais ce serait oublier la fureur déployée sur Fuck You ou Queen Bitch, qui ont influencé toute une génération de rappeuses, Nicki Minaj, Cardi B ou Megan Thee Stallion en tête. La base.


Hard Core [Explicit]
Lil' Kim
Parution chez Rhino Atlantic le 12 novembre 1996
Hip-Hop/Rap - 15 Titres - 52m 45s

Lil' Kim assume pleinement sa mission de provocation avec Hard Core. Juste un cran ou deux en dessous d'autres classiques du rap hardcore du milieu des années 90 comme Ready to Die de Notorious B.I.G. et Reasonable Doubt de Jay-Z, Hard Core imite une grande partie de l'attitude gangsta qui avait caractérisé le rap de la côte Ouest de l'époque, tout en conservant un style de production de la côte Est fondé sur l'échantillonnage plutôt que sur le G-funk.


Il y a beaucoup de contenu ici ainsi que de style, même si la Queen Bitch elle-même vous le donne cru et sale, mais aussi beaucoup d'esprit et d'agilité. C'est son esprit et son agilité qui la distinguent vraiment de ses pairs, aussi rares soient-ils. Après tout, le rap porno ne manque pas, mais peu de praticiens de cette “niche” arrivent comme elle à gagner votre respect tout en continuant à vous mettre mal à l’aise.

Kim montre ses talents dans Hard Core, à commencer par "Big Momma Thang", son duo d'ouverture avec Jigga. Ailleurs, elle passe à la soie dentaire avec Puff Daddy sur « No Time » ; impose son gangstressness à la Biggie sur "Queen Bitch" ; et remet tous les gars à leur place sur le "Pas ce soir" stimulant. Même les plus fervents fans de rap hardcore s’accordent à dire que la sexualité acharnée dans l’albulm est excessive. Il est difficile d'imaginer un album de rap aussi catégoriquement sale et aussi accompli, et il est en outre important d'entendre une femme renverser la situation pour une fois, particulièrement si intelligemment et avec un casting d’appui aussi bon. © Jason Birchmeier /TiVo
 

Outkast – ATLiens (1996)

André 3000 (André Benjamin) & Big Boi (Antwan Patton), Chicago, 1998 © Raymond Boyd/Getty Images


« The South has something to say. » Cette phrase prononcée par André 3000, qui forme OutKast avec Big Boi, lors des Source Awards de 1995, est un moment charnière de l’histoire du rap parce qu’elle est l’acte de naissance de la scène d’Atlanta, et donc sudiste, au milieu de la bataille rangée entre West Coast et East Coast. OutKast publie alors un deuxième album savant et effréné, ATLiens, hanté de bruits semblant émerger du cosmos. Les deux musiciens présentent des beats frontaux qui tapent fort, mais savent jouer avec la sensualité comme sur le titre Elevator (Me & You) ou la nostalgie sur 13th Floor/Growing Old. La cartographie du rap américain a changé pour de bon.


ATLiens (25th Anniversary Deluxe Edition)
Outkast
Parution chez Legacy Recordings le 27 août 2021
Hip-Hop/Rap - 29 Titres - 01h 51m 42s

 

Missy Elliott – Supa Dupa Fly (1997)

Missy Elliott


La discographie de Missy Elliott est un sans-faute. En six albums, dont quatre composés presque exclusivement par son éternel compère Timbaland, la rappeuse venue de Virginie s’est construite une stature solide. Son premier album, Supa Dupa Fly, lève le voile sur une personnalité unique qui multiplie les featurings, réunissant Busta Rhymes, Aaliyah, Magoo, Ginuwine, Lil’ Kim ou encore Da Brat. Mais c’est bien Missy Elliott qui rayonne ici, nonchalante et affûtée, protégée et bercée par des productions alors jamais entendues. On y décèle déjà le délire synthétique et électronique qui va caractériser ses prochains albums, mélangé à des samples de soul maltraités et inventifs. Le début d’une carrière majeure.

 


Supa Dupa Fly
Missy Elliott
Compositeur : T.Bell
Parution chez Atlantic Records - ATG le 11 juillet 1997
Hip-Hop/Rap - 17 Titres - 01h 00m 06s

Sans doute l’album le plus influent jamais réalisé par une artiste hip-hop, le premier album de Missy « Misdemeanor » Elliott, Supa Dupa Fly, est un chef-d’œuvre postmoderne qui brise les frontières. Il a eu un impact énorme sur le hip-hop, et encore plus grand sur le R&B, car son style futuriste, presque expérimental, est devenu le son de facto de la radio urbaine à la fin du millénaire. Une part importante du mérite revient au producteur Timbaland, dont les grooves numériques et épurés regorgent d'arrangements imprévisibles et de rythmes saccadés qui ressemblent souvent à des breakbeats de drum'n'bass ralentis. Les résultats sont non seulement uniques, ils sont tout simplement révolutionnaires, faisant de Timbaland un nom branché à adopter également dans les cercles électroniques. Pour sa part, Elliott impressionne par sa polyvalence : elle est chanteuse, rappeuse et partenaire égale pour l'écriture de chansons, et il ressort clairement des vidéos qui accompagnent l'album que l'esthétique de l'ère spatiale de la musique n'appartient pas seulement à son producteur.

Elle n'est pas une experte technique au micro ; ses raps sont assez simples, prononcés dans le lent ronronnement d'un stoner aux paupières lourdes. Pourtant, ils regorgent également d’associations libres hilarantes et surréalistes qui correspondent parfaitement à la sensibilité décalée de la musique. En fait, Elliott chante plus sur Supa Dupa Fly que sur ses albums suivants, ce qui en fait son effort le plus orienté R&B ; elle est plus remarquable en tant que rappeuse qu'en tant que chanteuse, mais elle a une voix douce qui s'harmonise bien.

Les rappeurs invités Busta Rhymes, Lil' Kim et da Brat apparaissent tous sur les trois premiers morceaux, ce qui détourne presque l'attention d'Elliott jusqu'à ce qu'elle prenne sans équivoque le relais avec le brillant single « The Rain (Supa Dupa Fly) » ; ailleurs, « Sock It 2 Me », « Beep Me 911 » et le « Izzy Izzy Ahh » éliminé sont presque à la hauteur de son génie. Elliott et Timbaland continueront d'affiner et d'élargir ce modèle, parfois avec encore plus de succès, mais Supa Dupa Fly contient les racines de tout ce qui a suivi. © Steve Huey/TiVo
 

 

Three 6 Mafia – Chapter 2 : World Domination (1997)

Three 6 Mafia


Voici les fers de lance du rap de Memphis. Et quand on connaît l’importance de la ville dans l’histoire du rap, notamment underground, difficile de ne pas considérer Three 6 Mafia comme l’une des formations les plus charnières. Leur troisième album, Chapter 2 : World Domination, est celui qui propulse DJ Paul, Juicy J, Lord Infamous, Gangsta Boo, Crunchy Black et Koopsta Knicca dans une dimension plus populaire, moins radicale dans ses choix sonores, certes, mais qui ouvre réellement les yeux des Etats-Unis sur ce que ce rap local sait faire de mieux. Adaptation sudiste du gangsta rap, cet album fleuve, virulent, dépouillé au possible, est la parfaite porte d’entrée vers cette formation incontournable mais trop souvent contournée.

 


Chapter 2: World Domination
Three 6 Mafia
Parution chez Relativity - Legacy le 7 octobre 1997
Hip-Hop/Rap - 24 Titres - 01h 22m 26s

Pour Chapter 2 : World Domination, leur premier album largement distribué (via Relativity), Three 6 Mafia affinent encore les motifs hardcore de leurs efforts underground, atténuant les effets d'horreur pure et simple et mettant en valeur leurs gangsta-ismes sudistes. Leur équation aboutit à un album merveilleusement nouveau pour l’époque, un album qui définira le cours de leur carrière. Le titre de chapitre 2 donné à l'album convient bien  car le groupe reprend plusieurs de ses meilleurs morceaux des albums Mystic Stylez et Da End précédemment sortis, « Tear da Club Up », « Late Nite Tip », « Bodyparts » et « N 2 Profond ». Le reste de l'album ne fait pas dévier le groupe de son placement idéologique, des morceaux comme "Neighborhood Hoe" et "Weed Is Got Me High" lui font même grand honneur ! les contenus, l'attitude et l'approche n'appartiennent qu'à Three 6 Mafia. « Hit a Muthafucka » est devenu le dernier hymne du groupe, un club-banger tapageur. © Jason Birchmeier/TiVo

 

 

Lauryn Hill – The Miseducation of Lauryn Hill (1998)


Lauryn Hill


L’unique album de Lauryn Hill, chanteuse/rappeuse échappée de l’énorme succès des Fugees, sonne comme l’avènement du hip-hop acoustique. Bien sûr, il y a également eu The Roots et une bonne partie des artistes du collectif Soulquarians. Mais The Miseducation, par la spiritualité et l’exacerbation des thèmes sentimentaux qui en découle, est définitivement à part. Lauryn Hill s’est entourée des musiciens new-yorkais du New Ark, à peine crédités, qui offrent à ce disque une intensité où se croisent les influences jamaïcaines, soul et R&B dans une grande cohérence. Il est une célébration, celle d’une chanteuse à son apogée, mais aussi de l’émancipation personnelle, de la maternité, de la croyance et du rap maîtrisé.

 


The Miseducation of Lauryn Hill
Lauryn Hill
Parution chez Ruffhouse - Columbia le 25 août 1998
Pop - 16 Titres - 01h 17m 17s


Cinq ans après le premier single des Fugees, Lauryn Hill se la joue solo avec ce qui deviendra l’un des albums les plus populaires des 90’s. Populaire, au bon sens du terme, parce que le disque constitue l’alliage rêvé entre sa personnalité complexe et les différents courants de la Great Black Music alors en vogue. The Miseducation of Lauryn Hill est conçu dans un contexte agité. Entre les clashs avec Wyclef Jean et Pras Michel des Fugees, la naissance de son premier enfant (avec Rohan Marley, le fils de…) et quelques collaborations de luxe avec Aretha Franklin (A Rose Is Still a Rose) et Whitney Houston, Lauryn Hill trouve tout de même le temps d’écrire des chansons qu’elle mettra en musique de la manière la plus organique possible. En intégrant notamment des tonnes d’instruments. Timbales, orgue, cordes, cuivres, harpe, piano et percussions s’entassent dans les deux studios de son enregistrement, Chung King à New York et Tuff Gong à Kingston.

Paru en août 1998, The Miseducation of Lauryn Hill démarre sur les brisées des Fugees, patois caribéens inclus et prose engagée. Entre MC clasheuse (ses punchlines égalent celles des rappeurs les plus hardcore) et soul sister aussi bien hantée par le gospel que Motown ou Nina Simone, elle invente une langue musicale qu’elle est alors seule à chanter. Bipolaire, disait d’elle Wyclef. Lauryn Hill est surtout multipolaire sans jamais qu’on soit perturbé par son zapping stylistique auquel participent Santana (To Zion), Mary J. Blige (I Used to Love Him) et D’Angelo (Nothing Even Matters). Plus de vingt ans plus tard, on attend toujours la suite de ces brillants débuts… © Marc Zisman/Qobuz

 

 

DMX – Flesh of My Flesh, Blood of My Blood (1998)


DMX


C’est peut-être le rappeur qui illustre le mieux le changement de canons sonores amorcé lors du passage au nouveau millénaire. Les quatre premiers albums de DMX ont tous été classés premier des charts américains, pas gênés par ce côté synthétique et rageur qui les caractérise. Mais Flesh of My Flesh, Blood of My Blood est certainement le plus parlant, le plus électrique et radical avec des titres tels que Keep Your Shit the Hardest, Blackout ou Bring Your Whole Crew, sur lesquels la production de Swizz Beatz irradie tout sur son passage. Mais il contient aussi des instants plus lumineux comme Slippin’ et le profond Ready to Meet Him, morceau de clôture face à la mort, qui a frappé le rappeur en 2021 à l’âge de 50 ans.



Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood
DMX
Parution chez Def Jam Recordings le 22 décembre 1998
Hip-Hop/Rap - 16 Titres - 01h 09m 51s


Dans la foulée de ses débuts multiplatine, It's Dark and Hell Is Hot, DMX a lâché sa hargne  sur un album débordant d'énergie brute et de catharsis spirituelle. L'irascible Yonkers MC, 27 ans au moment de cet enregistrement, perpétue l'héritage de Ruff Ryder. Le flux de "personnalité canine" de DMX ne ressemble à aucun autre, non seulement par les rimes, mais aussi par une expression aboyante sur des rythmes explosifs. La production ici - par Swizz Beatz, PK, DJ Shok, Dame Grease - est principalement constituée de combinaisons de boîtes à rythmes et de synthétiseurs de haute technologie pures et épurées qui ne manqueront pas d'inspirer des réponses émotionnelles et surrénales chez les auditeurs. Bien que DMX ne soit pas un petit nouveau, il fait partie d'une nouvelle génération de MC sans fioritures qui balancent tout dans le micro ; l'accent est mis sur l'émotion plutôt que sur la flexion des mots.

Les morceaux remarquables incluent « Blackout », avec des apparitions d'autres poids lourds du hip-hop, LOX et Jay-Z ; "Coming From", un duo avec la reine du hip-hop/R&B, Mary J. Blige, qui étourdit les oreilles avec une boucle de piano envoûtante ; « The Omen », un combat contre le diable mettant en vedette la démoniaque Marilyn Manson ; et le premier morceau de la face deux, « Slippin' », un regard introspectif sur la lutte de DMX pour rester au top de son art tout en faisant face aux périls de sa réalité. C'est un album très spirituel, témoignage de la lutte d'un artiste contre les manifestations du bien et du mal. Le montage final, "Ready to Meet Him", une conversation entre DMX et son dieu, ponctue cette réalité. © M.F. DiBella/TiVo

 

Eminem – The Marshall Mathers LP (2000)


EMINEM


Véritable raz-de-marée, phénomène culturel majeur, l’explosion d’Eminem vient non seulement placer Détroit sur la carte du rap, mais ouvre également ce genre à un public nouveau. Sur The Marshall Mathers LP, troisième album de celui qui deviendra le plus gros vendeur de disques de la décennie 1999-2009, le rappeur délaisse un peu son costume de joyeux drille salace pour aborder des thématiques plus sombres et personnelles, s’épanouissant dans le malaise qu’il provoque. Les productions sont signées par son mentor Dr. Dre, aidé par Mel-Man, et toujours ses acolytes des débuts, les Bass Brothers. Stan, The Real Slim Shady, Kill You ou Kim, autant de classiques qui ont choqué leur époque.

 


The Marshall Mathers LP
Eminem
Parution chez Interscope le 1 janvier 2000
Hip-Hop/Rap - 18 Titres - 01h 12m 07s


Avec pour titre l’identité civile de son auteur, ce second album (le troisième si l’on compte la démo de 1996, Infinite) semble annoncer une tonalité plus introspective que son prédécesseur. Slim Shady, le double facétieux, bouffon et sarcastique d’Eminem, est moins présent sur cet album, laissant le rappeur parler en son propre nom. Les sujets abordés sont donc plus personnels, graves, abordant sa soudaine immense célébrité, évoquant crûment ses problèmes familiaux et conjugaux, répondant aux différentes critiques subies à la suite du premier album. Eminem fait  preuve d’une grande sincérité en évoquant explicitement tous les sujets qui le touchent. Les productions, plutôt lentes et épurées des collaborateurs habitués Dr Dre et Mel-Man ou les Bass Brothers, permettent au rappeur d’être le véritable moteur musical des morceaux. Mark The 45 King est le seul nouvel apport aux machines, offrant avec « Stan » et son sample de la chanteuse pop anglaise Dido (laquelle apparaît dans la vidéo) l’un des morceaux les plus marquants.

Le public accroche et l’album se vend à plus de 1,7 million de copies dès la première semaine, doublant le précédent record pour un artiste rap détenu par Snoop Dogg et dépassant celui de Britney Spears pour la meilleure première semaine pour un artiste solo. Fin 2000, il s’en est déjà vendu 8 millions d’exemplaires sur le seul territoire américain. Le contenu jugé violent de l’album lui vaut de sortir en version expurgée : le morceau « Drug Ballad » réintitulé « Ballad » et le morceau visant sa femme (« Kim »), d’une extrême violence, remplacé par un morceau plus joyeux appuyé par la musique de South Park, « The Kids ». ©Copyright Music Story 202

 


Jay Z – The Blueprint (2001)


Jay-Z


En 2001, Jay Z n’avait déjà plus grand-chose à prouver. Mais son sixième album est celui qui l’envoie dans une autre sphère, celle de l’élégance mariée à une technique irréprochable. Le rappeur de Brooklyn se place volontairement au-dessus de la mêlée, dominateur, faisant prendre de la hauteur à tout le genre. Illustration de ce changement, The Blueprint est majoritairement produit par un Kanye West en pleine éclosion, mais également par le fidèle Just Blaze, équipe complétée par Eminem, Poke And Tone, Bink et Timbaland. Une meute de choc. Cet album est l’une des entrées majeures du rap dans la pop, pas forcément par son contenu sonore, mais dans la prestance qu’il donne à la scène et à ses acteurs. Indispensable.

 


The Blueprint (Explicit Version)
Jay Z
Parution chez Roc-A-Fella le 11 septembre 2001
Hip-Hop/Rap - 15 Titres - 01h 03m 06s

 


Afin d’éviter la diffusion importante de copies non officielles, la date de sortie de l’album fut avancée au 11 septembre 2001, un joyau sonore. L’histoire raconte que l’album a été réalisé en deux semaines. Les producteurs Just Blaze et Kanye West (qui « explosera » à la suite de ce travail) sortirent de leurs bacs les disques soul qui avaient été négligés ces dernières années dans le rap, à savoir Al Green, David Ruffin, Bobby « Blue » Bland, ou les Jackson 5, et changèrent de nouveau la tendance musicale du moment. Jay-Z était à l’époque attaqué de toutes parts, il répond aux principaux, Prodigy de Mobb Deep et Nas, dans « Takeover », appuyé par un sample des Doors, laissant tous les autres avec une demi mesure. Seul invité, et de marque, Eminem, qui apporte le morceau le plus sombre de l’album « Renegade ». Jay-Z réussit l’impossible sur cet album, satisfaire à la fois les auditeurs les plus réfractaires à sa musique ainsi que le grand public, faisant de cet album l’un de ses plus réussis et le faisant entrer de manière indiscutable dans l’Histoire du Hip-Hop. ©Copyright Music Story 2021