Compendium

Histoire de la pensée

>> ( Section  )

Histoire naturelle

CHOMSKY - FOUCAULT - Débat sur la nature humaine / 1971

[ VIDEO / TEXTE // 30 minutes]

NOAM CHOMSKY & MICHEL FOUCAULT, UN DÉBAT TÉLÉVISÉ SUR LA NATURE HUMAINE

1971, Eindhoven, Pays-Bas 

 

Michel Foucault (1926-1984) était un philosophe et historien français, connu pour ses travaux sur la relation entre pouvoir et savoir, ainsi que sur les institutions sociales. Ses œuvres les plus célèbres incluent Surveiller et punir et Histoire de la sexualité. Durant le débat, Michel Foucault s'exprime en français.

 

Noam Chomsky (né en 1928) est un linguiste, philosophe et activiste politique américain. Il a révolutionné la linguistique avec sa théorie de la grammaire générative et est également connu pour ses critiques du capitalisme et des politiques étrangères américaines. Ses livres notables incluent Syntactic Structures et Manufacturing Consent. Durant le débat, Noam Chomsky s'exprime en anglais.

 

En 1971, à Eindhoven, aux Pays-Bas, Noam Chomsky et Michel Foucault se sont rencontrés pour une discussion télévisée. C'était leur seule et unique rencontre. Leur débat portait sur la "nature humaine", c'est-à-dire l'essence immuable de l'humanité face aux changements constants de l'histoire.

 

Le débat d’Eindhoven est intéressant parce qu'il n'a pas de réponse claire. Critiquer Chomsky ne signifie pas nécessairement que l'on est d'accord avec Foucault, et inversement. Cette incertitude montre bien que la vérité n'est pas évidente.

Foucault dit que parler de la nature humaine implique toujours des questions de société et de politique. Mais cela ne veut pas dire que la nature humaine n'existe pas. Nos idées sur la nature humaine peuvent changer avec le temps, mais cela ne change pas la nature humaine elle-même. Il y a un aspect biologique constant qui est influencé par l'histoire. La nature humaine, comme notre capacité à parler, est à la base de nos idées sur la connaissance.

Foucault et Chomsky ont une approche différente : Chomsky se concentre sur l'organisation formelle des connaissances, tandis que Foucault s'intéresse au contenu des connaissances dans une société.
 

Voici ci-dessous des extraits de ce débat :

 

Chomsky croyait en une nature humaine fixe et en décrivait les traits principaux. Foucault, lui, était en désaccord : il ajoutait des distinctions et des objections. Souvent, ils semblaient parler en parallèle sans vraiment se contredire ou se confronter. La discussion devenait plus précise quand ils abordaient les implications sociales et politiques de leurs idées sur la nature humaine. Là, leurs désaccords étaient plus clairs. Bien qu'ils partageaient des objectifs politiques concrets, comme l'opposition à la guerre du Vietnam et le soutien aux luttes ouvrières, ils différaient sur la possibilité de définir une société uniquement à partir de traits biologiques humains.

Cette rencontre a souligné la division entre le matérialisme naturaliste (centré sur la biologie) et le matérialisme historique (centré sur l'histoire et la société).

Depuis 1971, ces deux approches sont devenues encore plus distinctes :

  • les chercheurs en sciences sociales ont évité de lier l'inné et l'acquis, souvent au détriment de comprendre comment les traits biologiques sont influencés par l'histoire et le pouvoir.

  • de l'autre côté, les sciences cognitives, inspirées par Chomsky, ont peu intégré l'histoire dans leurs études.

À Eindhoven, Chomsky a tenté de lier biologie et histoire, mais cette tentative n'a pas réussi. Contrairement à ses disciples, Chomsky a consacré une partie importante de son énergie à l'activisme politique, refusant de séparer complètement l'analyse linguistique de l'analyse sociale. À Eindhoven, il a cherché à établir un lien intrinsèque entre les deux, mais sans succès.

Évoquons quelques moments clés de ce débat.

Pour soutenir l'idée qu'il existe une nature humaine constante, Chomsky se base sur le langage. Il pense que la capacité de parler est innée et commune à tous les humains, différente des autres espèces.

Selon lui, cette capacité ne dépend pas vraiment du milieu social, sauf pour démarrer. Dès le début, l'utilisation des mots montre une régularité instinctive qui va au-delà de ce que l'on apprend de notre environnement. Le langage se développe de lui-même, avec des structures et des schémas qui ne dépendent pas de l'expérience personnelle. La grammaire universelle, qui sous-tend toutes les langues, fait partie de notre héritage génétique.

Chomsky dit que si nous pouvions décrire les propriétés cognitives humaines en termes de réseaux neuronaux, il les considérerait comme faisant partie de la nature humaine. Il pense qu'il y a un élément biologique constant qui soutient nos capacités mentales.

Foucault répond de manière plus prudente. Il se méfie de l'idée de nature humaine en tant que concept scientifique. Pour lui, cette notion aide surtout à définir un domaine de recherche, plutôt qu'à être étudiée directement. Par exemple, les linguistes, Freud et les anthropologues ont découvert leurs lois sans étudier la nature humaine. Il voit cette notion comme un outil pour distinguer certains types de discours de la théologie, de la biologie ou de l'histoire, plutôt qu'un concept scientifique solide.

Chomsky insiste sur la nature créative du langage, chaque personne utilisant un nombre limité de mots pour créer une infinité de phrases. Cette créativité est normale et commune, et a une base biologique.

Foucault, cependant, pense que les règles du langage viennent de l'histoire et de la société, pas de l'esprit individuel. Pour lui, les schémas du langage proviennent des pratiques économiques, sociales et politiques, et non d'une capacité innée. Ignorer cela revient à traiter la nature humaine comme un concept scientifique rigide, au lieu de la voir comme un simple guide de recherche.

Chomsky reste ferme sur son idée que la créativité linguistique est à la fois métahistorique (au-delà de l'histoire) et individuelle : « La nature de l’intelligence humaine n’a certainement pas beaucoup changé depuis le XVII° siècle, ni probablement depuis l’homme de Cro-Magnon ».

Le débat se termine sur la désobéissance civile.

Chomsky pense que certaines caractéristiques de la nature humaine justifient un engagement politique complet. Pour lui, la créativité du langage nécessite une lutte contre les pouvoirs répressifs comme le capitalisme et l'État centralisé. Une société juste devrait maximiser les possibilités de cette créativité humaine fondamentale.

Foucault, en revanche, pense que la désobéissance civile doit être basée sur des objectifs historiques spécifiques, pas sur un principe biologique éternel :

Plutôt que de penser à la lutte sociale en termes de justice, il faut mettre l’accent sur la justice en termes de lutte social