Compendium

Histoire du rap

>> ( Section  )
>> [ Jean Michel BRUYÈRE ]

Une histoire du rap #3

LES ALBUMS QUI ONT CHANGÉ LE RAP // 2001 - 2010

[ TEXTE, PICS, VIDEO // temps non calculé ]

Les albums qui ont changé le rap

 

Par Brice Miclet
[Paru dans Qobuz magazine le 27 septembre 2023]
 

Partie 3 [2001-2010]

 

Des premiers pas discographiques de Kurtis Blow au sommet commercial de Three 6 Mafia en passant par les ténèbres de Mobb Deep ou le gangsta rap de N.W.A., voici un panorama du genre en trois parties, qui s’intéresse cette fois aux fastueuses années 90.  Ceci est la partie 3.

50 Cent – Get Rich Or Die Tryin’ (2003)

 

Comment avoir les muscles de 50 Cent | GQ France

50 Cent

Get Rich or Die Tryin’ est l’un des meilleurs exemples de l’entrée du rap dans les années 2000. 50 Cent y rayonne, semblant synthétiser le passé et le futur du hip-hop américain, fondu dans le son new-yorkais, dans les esthétiques gangsta, as du storytelling promotionnel et artistique, voix rauque, mobilisant avec aisance la radicalité et la sensualité crasse, et posant sur des instrumentaux tantôt électroniques, comme sur What Up Gangsta ou l’énorme succès In Da Club, tantôt ancrés dans une forme de tradition sur Many Men (Wish Death) ou le single

21 Questions. Ce deuxième album n’est pas uniquement un succès commercial, c’est un classique qui, vingt ans plus tard

 

Get Rich Or Die Tryin' : 50 Cent: Amazon.fr: CD et Vinyles}

Get Rich Or Die Tryin'
50 Cent
Parution chez Shady Records le 1 janvier 2003
Hip-Hop/Rap - 20 Titres - 01h 14m 12s

Figurant dans la bande originale du film 8 Mile, "Wanksta" de 50 Cent a fait un carton fin 2002, dénonçant l’hypocrisie des prétendus gangsters qui se vantent d'exploits criminels n’existant que dans leur imagination. Si quelqu'un a son mot à dire là-dessus, c'est bien 50 Cent. Il a fait ses preuves dans la rue (pour ne pas parler des faits divers) bien avant qu’Eminem n’invite le rappeur de Queens dans son album Shady. 50 Cent cite allègrement la Bible dans "Many Men (Wish Death)" tout en exultant à propos du rival qui lui a tiré dessus en 2000 avant d’être assassiné lui-même. De cette tranche de réalité, il évolue vers son carton dance-pop "In da Club". Tout au long de l’album, 50 Cent étonne par sa vision originale et crue du monde. © Jason Thurston /TiV

 

 

Madvillain – Madvillainy (2004)

 

Madvillain: 'Madvillainy' | Vol. 3 Ep. 1 - The Ringer

Photo by Peter Kramer/Getty Images

Le nom de MF DOOM s’écrit en lettres capitales. Celui de Madlib résonne parmi les plus grands producteurs des années 2000, toujours un peu décalé, explorateur de sonorités et de pays, as du sampling malaxé et respectueux. Lorsque ces deux esthètes s’associent enfin pour former le duo Madvillain et publient leur premier album, Madvillainy, ils posent les nouvelles bases d’un rap alternatif capable de conquérir un large public. Très cinématographique, abîmé et martial, il plonge l’auditeur dans des extraits de films enfouis, des rythmes venus d’Inde, d’Amérique du Sud ou de soul se réunissant dans un brouhaha ultra maîtrisé. Madvillainy demeure l’un des faits d’armes les plus marquants du label Stones Throw, garant d’un son, d’une scène, d’un état d’esprit.

 

Madvillainy

Madvillainy
Madvillain • Madlib • MF DOOM
Parution chez Stones Throw Records le 23 mars 2004
Hip-Hop/Rap - 16 Titres - 01h 02m 39s

En 2004, la raposphère alors un brin assagie est victime d’une terrible secousse sismique au nom étrange : Madvillain. Derrière cette mystérieuse appellation se cache en fait un tandem composé de Madlib et de MF Doom. Ces deux pointures de l’underground rap américain n’en sont évidemment pas à leur coup d’essai mais leur association gravée dans la cire sous le titre Madvillainy intrigue, déroute de prime abord et surtout s’aventure en terrain vierge. Nouveau tournant pour le label Stones Throw, toujours présent lorsqu’il s’agit de secouer les tables de la loi rap, l’album est sans doute l’un des plus influents de sa décennie. Titres ultra-courts (souvent moins de 2 minutes !), avalanche de samples éclectiques (de Sun Ra à Zappa en passant par Maria Bethania, tout y passe !), refrains à peine esquissés et prose abstraite au possible, Madlib et MF Doom s’en donnent à cœur joie en (dé)construisant des séquences apparemment disparates et bancales mais finalement totalement cohérentes et marquantes. Du grand art que ce Madvillainy. © Marc Zisman/Qobuz

 

Gucci Mane – Trap House (2005)

 

Gucci Mane a sorti un nouvel album qui dure près de 4 heures

Gucci Mane

Avec Young Jeezy et T.I., Gucci Mane fait partie de la sainte trinité qui a fait éclore une bonne fois pour toutes la trap au milieu des années 2000. Comme ses compères, il a grandi à Atlanta, épicentre du genre qui régnera sur la musique mondiale sept ans après la sortie de son premier album, Trap House. Une pierre angulaire qui porte la marque de Zaytoven, certainement le producteur le plus emblématique du rap sudiste de l’époque, et qui n’y va pas par quatre chemins : électronique criante, beats assourdissants, nappes menaçantes et bourrées de cuivres synthétiques, snares qui claquent… Le rap de Gucci Mane se fait presque festif, influencé par les ambiances sudistes ostentatoires et le récit de la nouvelle richesse. Et donne le top départ d’un tsunami sonore.

 

Trap House

Trap House
Gucci Mane
Parution chez Big Cat le 24 mai 2005
Hip-Hop/Rap - 18 Titres - 01h 08m 04s

Pour le MC d'Atlanta Gucci Mane, le chemin qui a mené à la sortie de son premier album, TRAP HOUSE, était pour le moins un peu bizarre. Il y a d'abord eu une dispute à propos du tube underground "Icy", une collaboration avec Young Jeezy de Boyz N Da Hood, Gucci refusant à Def Jam le droit de mettre le morceau sur le premier album de ce dernier, ce qui a conduit à un échange de pistes de mixtape accusatrices. Puis, la semaine précédant la sortie de TRAP HOUSE, Gucci Mane s'est retrouvé accusé de meurtre.
La controverse a rarement nui aux ventes de disques, mais l'album finit par réussir ou échoue grâce aux compétences rap de Mane. En ce sens, c’est un rappeur charismatique qui rime avec une agréable crudité sur le fait de sortir de la rue. Il n’y a pas de fumée et de miroirs pour obscurcir son style ; "Lawnmower Man" parle simplement de ses prouesses, "Black Tees" glisse clairement sur le hit de Dem Franchize Boyz "White Tees". Le controversé "Icy" utilise un rythme électronique aussi sobre que le style de Mane pour un hymne efficace à la rue. Sur tous les morceaux, l'attitude légère de Gucci Mane contraste avec ses paroles dures pour un début efficace. © TiVo

 

J Dilla – Donuts (2006)

 

J Dilla Died In 2006. He's Now Being Sued for Using a 1974 Rock Sample

Hip hop artist J Dilla 

L’influence de J Dilla sur les producteurs des années 2000 ne se mesure pas au nombre de musiciens qui l’ont imité, mais plutôt à tous ceux qu’il a traumatisés par sa dextérité. Donuts est un chant du cygne, le dernier disque offert seulement trois jours avant que le producteur ne décède à l’âge de 32 ans. Les morceaux de soul, de funk, de rock des années 1970 sont découpés méticuleusement, réassemblés sur des beats pour certains composés sur un lit d’hôpital, et Galt MacDermot, les Jackson 5, 10cc, Jerry Butler et Frank Zappa deviennent instantanément hip-hop, comme par magie. Sorte de mixtape brute volontairement salie, Donuts est un manifeste sonore, un disque sensible auquel bien des beatmakers se réfèrent encore aujourd’hui, à raison.
 

 

undefined

Donuts
J Dilla
Parution chez Stones Throw Records le 7 février 2006
Hip-Hop/Rap - 31 Titres - 43m 24s

Donuts a été réalisé sur un lit d'hôpital et dans un home studio, sur une configuration épurée avec une pile de vinyles. Sorti le jour du 32e anniversaire de son créateur, trois jours avant son décès, l'album a une résonance plus profonde que quiconque aurait pu même l'imaginer. Certains proches de Dilla ont dit qu'il y avait des messages cachés dans les échantillons, les titres des morceaux et qui sait où d'autre. Il est impossible de ne pas spéculer sur certaines choses, comme le morceau intitulé "Don't Cry", le "broken and blue" en boucle d'une version de "Walk on By", la présence d'Eddie Kendricks chantant "My people, hold on, " ou le fait qu'il y ait 31 morceaux, un signe possible que Dilla a survécu un peu plus longtemps que prévu. Là encore, pour chaque message possible, il y a deux ou trois éléments qui auraient pu être conçus pour faire dévier toute analyse de sa piste. Après tout, s'il y a une seule image qui nous vient à l'esprit, c'est bien celle de Dilla en train de faire des gaffes, de s'amuser avec certains de ses disques préférés, et de déconner certaines têtes au passage. Armé de sources qui sont soit connues des observateurs d'échantillons débutants, soit seulement des creuseurs les plus chevronnés -- étonnamment , le premier l'emporte largement sur le second - Dilla est également tout aussi susceptible de laisser ses échantillons à peine touchés que de les rendre méconnaissables. Il est normal que les échos de la Motown, un thème prédominant, soient souvent ressentis, depuis l'utilisation de "You're Gonna Need Me" écrit par Holland-Dozier-Holland de Dionne Warwick (sur "Stop"), jusqu'aux vagues changeantes de percussions extraites de "People... Hold On" de Kendricks (sur "People"), aux licks de piano de type Stevie dans "The Fruitman" de Kool & the Gang ("The Diff'rence"). La plupart des morceaux se situent entre 60 et 90 secondes. Il est facile d'être dépassé, voire découragé, par la séquence de tir rapide, mais il est étonnant de voir à quel point tant de croquis laissent une impression immédiate. À la troisième ou quatrième écoute, ce qui semblait initialement être un flux aléatoire de fragments assemblés commence à prendre la forme d'une suite de 44 minutes remplie de joie nostalgique. Comme tout ce que Dilla a fait, Donuts ne définit pas ; en fait, des éléments de son approche révèlent l’influence apparente de Madlib, collaborateur de Jaylib. Son style a toujours été trop glissant et trop progressif pour être assimilé à un seul morceau ou album, mais Donuts pourrait bien être la sortie qui reflète le mieux sa personnalité. © Andy Kellman /TiVo

 

Lil Wayne – Tha Carter III (2008)

 

Hip hop artist  Lil Wayne

Lil Wayne est sans contestation possible l’un des rappeurs les plus importants des années 2000 et 2010, statut acquis avec sa série d’albums Tha Carter démarrée en 2004. Le troisième volet, paru en 2008, résonne comme le plus symbolique d’une démarche musicale alliant retentissement commercial et innovation. Avec le single A Milli, produit par Bangladesh, il a exporté son nom bien au-delà des frontières américaines, se positionnant comme le garant d’une trap mixée à la pop et à la provoc. Tha Carter III est cependant bien plus complexe : solaire sur Let the Beat Build, qui porte l’empreinte de Kanye West, mélancolique sur le morceau fleuve DontGetIt, agressif sur Phone Home… On aime s’y perdre pour mieux renouer avec les origines de la trap mondiale.

 

Tha Carter III By Lil Wayne (2008-06-09)

Tha Carter III
Lil Wayne
Parution chez CM - Republic le 1 janvier 2008
Hip-Hop/Rap - 16 Titres - 01h 17m 54s

Dans la troisième édition de Tha Carter, Lil Wayne se laisse aller à l'auto-satisfaction sur 16 titres, en donnant libre cours à un flow excentrique, des paroles hallucinantes et des acrobaties vocales. Avec "Dr Carter", il atteint le summum de l'arrogance en jouant le MC/docteur soignant un genre de musique donné pour mort et conclut dans un grognement rauque : "Welcome back hip-hop/I saved your life". Wayne passe ensuite au mode alien avec le titre inspiré par E.T. "Phone home". Un peu plus loin, il détaille son aventure sexuelle avec une policière sur "Ms. Officer". Comme prévu, Tha Carter III est truffé de grands noms de la production (the Alchemist, Kanye West, Wyclef Jean, David Banner, Swizz Beatz, will.i.am) et d'invités célèbres (Jay-Z, Babyface, Busta Rhymes, Juelz Santana, Fabolous, T-Pain) de toutes les côtes. © Matt Rinaldi /TiVo

 

Kanye West - 808s and Heartbreak (2008)

 

Kanye West's '808s & Heartbreak' Album 10th Anniversary

Kanye West

Quel album de Kanye West a eu le plus d’impact sur la musique américaine ? Excellente et insondable question. Ce qui est certain, c’est que 808s and Heartbreak fait partie de la short-list. La façon dont le rappeur et producteur de Chicago manie l’Auto-Tune pour lui conférer un supplément d’émotion, pour exprimer la douleur ressentie suite au décès de sa mère survenu en 2007, est cruciale. Sa musique est brute, en opposition avec celle déployée sur son précédent album, Graduation, qui faisait briller le rêve américain. Cette fois-ci, la tristesse se pare d’électronique, est propice à l’innovation symbolisée par des morceaux phares tels que Bad News, Paranoid, ou l’énorme single Heartless.

 

808s & Heartbreak by Kanye West 2008 Audio

808s & Heartbreak
Kanye West
Parution chez Roc-A-Fella le 24 novembre 2008
Hip-Hop/Rap - 12 Titres - 52m 04s

Say You will - Welcome to heartbreak - Heartless - Amazing - Love lockdown - Paranoid - RoboCop - Street lights - Bad news - See You in my nightmaresColdest winter - Pinocchio story (Freestyle live from Singapore)

 

Nicki Mina – Pink Friday (2010)

 

41 Of Nicki Minaj's Best Beauty Moments

Nicki Mina

Le premier titre du premier album de Nicki Minaj s’intitule I’m the Best. Ça pose une intention. Avec Pink Friday, la rappeuse d’origine trinidadienne confirmait les espoirs placés en elle par des pontes nommés Kanye West ou Lil Wayne, se faisait à la fois très synthétique, totalement ancrée dans le son de l’époque, mais également sans fioritures. Ses couplets, déjà, sont limpides, agressifs, hérités de la rage de Lil’ Kim, de son art du défi, injectant des éléments pop évidents sur les refrains de titres tels que Right Thru Me ou Your Love, ouvrant la porte à une nouvelle génération de rappeuses vedettes qui se nommeront Cardi B ou Azelia Banks. Mais c’est par sa dureté, par son goût pour les TR-808 dégoulinantes que cet album rayonne, faisant date dans une ère tremplin pour le rap mondial.
 

 

Pink Friday by Nicki Minaj (2010) Audio CD

Pink Friday (Complete Edition)
Parution chez Nicki Minaj - Cash Money le 19 novembre 2010
Hip-Hop/Rap - 21 Titres - 01h 20m 48s

Il ne faut pas oublier que sous des dehors sexy et provocants, Foxy Brown et Lil' Kim sont des rappeuses douées en diable. Nicki Minaj leur emboîte les talons-aiguille avec les même atouts, qu'ils soient physiques ou vocaux. Nicki Minaj n'a pas figuré sur pas moins de sept singles classés simultanément au Billboard, dont son propre « Your Love », sans une présence vocale forte. Malgré l'emploi souvent superflu de l'Auto-tune, Nicki Minaj n'a pas une voix, mais des voix. Au gré de ses "doubles", comme Roman Zolanski sur « Roman's Revenge », Nicki Minaj peut-être violente et vulgaire ou douce et sensuelle. Soufflant ainsi le brûlant et le glacial, Nicki Minaj offre un panorama assez complet du son urbain du moment sur Pink Friday. Les producteurs et les collaborations sur l'album parlent d'elles-même, Pink Friday n'est pas qu'un album du vendredi. Swizz Beatz, J.R. Rotem, Eminem, Kanye West, Rihanna, will.i.am, ou Drake ne sont pas du menu fretin et savent où ils mettent les pieds.Inventif avec « Save Me », electro rap pour « Roman's Revenge », piétinant les plates-bandes des copines du R&B avec le tube «Your Love », Pink Friday est bien le meilleur album de rap féminin depuis que Missy Elliott s'est mise en grève. Plus qu'une voix et des arrangements, Nicki Minaj a du style, du chien, et forcément du mordant. Voilà bien une débutante dont nul ne souhaite qu'elle ne fasse qu'un petit tour. ©Copyright Music Story 2015