travaux de création
L’insu et le non-être
lundi 25 novembre 2024 à l’atelier LFKs, la Friche La Belle de Mai
Semaine 4 de Création Promotion 24

 DÉVELOPPEMENT DU SUJET : 

 

Si les connaissances (les savoirs) forment un champ, le traverser revient à passer du "non-su" (ce que je ne sais pas) à "l'insu" (ce que l'humanité ignore) — on pourrait dire aussi : passer de l'état d'une ignorance brute, celui où l'on ignore que l'on ignore et ne sait pas ce que l'on pourrait savoir,  à la dynamique d'une ignorance raffinée, celle où l'on s’en va retrouver de l'insu au-delà du champ des connaissances, après les savoirs. Si le non-su est le lieu d'une impuissance, l'insu est celui d'un potentiel créatif.
L'esprit humain se nourrit d'associations qui échappent à la conscience, mais plus cette conscience est développée – c'est-à-dire qu'elle est toujours davantage rendue capable de séparer (tamiser) l'ignorance de ce qui peut être su – plus puissantes et bouleversantes sont les apparitions nées d'un frottement de notre esprit au néant, un néant qu'on pourrait devenant "vrai" en tant que néant pour tous : un au-delà de la conscience humaine. Le concept de vérité décrit alors ce que nous ignorons tous, une fois toutes les connaissances cumulées, une vérité qui échappe à la conscience individuelle et collective : un au-delà que l’esprit effleure mais ne peut jamais pleinement saisir. Ainsi, la vérité n'est pas ce qui est su ou prouvé, mais une tension même, qui emporte l’humanité dans la fascination de ce que le néant n'étant pas, n'est pas épuisable. Dans cette perspective la connaissance n'est qu’un passage ;  non une fin mais un moyen : le moyen de "vraiment" approcher en esprit ce qui n'est pas et ne peut pas être. 
L’insu doit alors être pensé comme au-delà du champ des connaissances, comme frontière, lisière ou marche entre le savoir et l'inconnu infini. Mais peut-être faut-il  là cesser d’ailleurs de parler de “champ”, d’un champ des connaissances, des champs de la connaissance, etc. Car il s’agit moins de récolter et engranger des savoirs que de les traverser dans ce qui serait un paysage, un paysage connu ou reconnaissable, dont l'insu est le seuil, qui mène au non-être : ce lieu/non-lieu où la conscience touche à ses propres limites et où l'esprit humain se confronte à un vide créateur, un néant porteur de potentialités infinies.
Cet allant vers-, qui nous fait passer du non-su à l'insu, et finalement au non-être, est un cheminement qui révèle une quête existentielle : non pas simplement de savoir, mais de ressentir la profondeur de ce qui échappe à toute saisie.

Par la distinction entre ignorance brute et ignorance raffinée (ou tamisée), s’établit une hiérarchie dans la manière dont l'esprit humain perçoit ce qui est inconnu. L'ignorance brute est l'état initial de non-savoir inconscient, là où l'on est aveugle à l'étendue même de ce qui pourrait être appris. L'ignorance raffinée, en revanche, est celle qui naît d'une conscience avancée : savoir que l'on ne sait pas, mais aussi percevoir les contours flous de ce que l'on ne saura peut-être jamais. Cette ignorance raffinée devient la source de la création, de l'invention et de l'intuition, elle force l'esprit à chercher dans les espaces entre les savoirs, et à aller au delà, explorer l'invisible et l'inconnu.


Si besoin, voir en note une version simplifiée du texte¹

 

 DES RÉFÉRENCES : 

 

ELIANE RADIGUE : Trilogie de la mort

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La compositrice française Eliane Radigue est connue pour ses œuvres électroniques minimalistes qui explorent des états de conscience modifiés. Des compositions comme Trilogie de la Mort plongent l'auditeur dans des nappes sonores subtiles et évolutives, créant un espace méditatif qui touche à l'insu et au non-être. Sa musique encourage l'auditeur à abandonner la perception consciente du temps et à se laisser entraîner dans un état où l'esprit effleure ce qui dépasse le champ de la connaissance rationnelle.

 

ROBERT IRWIN : Light & Space Installation

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L’artiste américain Robert Irwin, avec ses installations de Light and Space, invite le spectateur à une expérience où la perception est altérée, où l’on explore des zones d’insu dans lesquelles les limites du visible se fondent et se diluent. Ses œuvres créent un espace où l’on prend conscience de l’absence de matière et de la fragilité de notre compréhension du réel.

 

JAMES TURRELL :  Roden Crater

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James Turrell est connu pour ses travaux sur la lumière et l’espace, qui créent des expériences immersives où la frontière entre le visible et l’invisible est floue. Ses installations, comme le projet Roden Crater, amènent le spectateur à entrer en contact avec une dimension insaisissable, une lumière qui semble venir de nulle part, évoquant l’insu et le non-être en tant qu’espaces de contemplation pure et de vérité non verbalisable.

 

MONA HATOUM :  Light Sentence

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Mona Hatoum utilise la matérialité pour évoquer l’absence et l’invisible. Des installations comme Light Sentence ou Homebound font ressentir la fragilité de la présence humaine et l’idée que derrière l’apparence matérielle se cache un vide ou une incertitude profonde. Cela rejoint l’idée de naviguer entre le su et l’insu.

 

CHANTAL AKERMAN : Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles …

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Chantal Akerman est connue pour son exploration de la temporalité et de l’expérience subjective. Son film Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975) révèle l’insu dans la répétition des gestes quotidiens et dans les silences. Le film crée un espace où l’auditeur ressent la tension entre la présence de l’action et le vide existentiel qui l’entoure, touchant au non-être par la dépersonnalisation et la solitude.

 

 

MORTON FELDMAN : For Philip Guston

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Morton Feldman - For Philip Guston (1984)

 

Morton Feldman est connu pour ses compositions qui jouent avec l’espace et le temps, souvent longues et caractérisées par une dynamique extrêmement douce. Des œuvres comme Rothko Chapel ou For Philip Guston explorent un espace musical qui est à la fois présent et absent, tangible et insaisissable. La lenteur et la subtilité de sa musique amènent l’auditeur à percevoir l’insu de manière presque physique, car elle expose ce qui se trouve au-delà du champ habituel de la conscience musicale.

 

JOHN CAGE :  4'33"


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'œuvre la plus célèbre de John Cage, 4'33", est un exemple emblématique de la musique qui explore l’insu et le non-être. Pendant la performance, les musiciens ne jouent aucune note, et la "musique" devient l’ensemble des sons ambiants et des réactions du public. Cette pièce invite l’auditeur à dépasser le champ des connaissances musicales traditionnelles et à entrer dans une expérience où le silence apparent révèle un monde sonore insoupçonné, mettant en lumière l’idée que l’insu est toujours présent et que le non-être peut être porteur de sens.
 

 

¹version simplifiée du texte de développement du sujet : Si les connaissances forment un champ, le traverser revient à passer de ce qu'on ne sait pas (le "non-su") à ce que l'humanité ignore (l'“insu”). On peut dire aussi : passer d'une ignorance simple, où l'on ne sait même pas qu'on ignore et ne sait pas ce qu'on pourrait apprendre, à une ignorance plus fine, où l'on cherche l'insu au-delà des connaissances, après les savoirs. Si le non-su est un état d'impuissance, l'insu est un espace de créativité.
L'esprit humain se nourrit de connexions qui échappent à la conscience, et plus la conscience est développée – c'est-à-dire capable de distinguer l'ignorance de ce qui peut être su – plus les apparitions qui naissent de la rencontre de l'esprit avec le néant seront fortes et surprenantes. Ce néant est "vrai" car il est le même pour tous : il est au-delà de la conscience humaine. La vérité décrit alors ce que nous ignorons tous, même après avoir accumulé toutes les connaissances. C’est une vérité qui échappe à la conscience individuelle et collective, un au-delà que l’esprit touche sans pouvoir pleinement saisir. Ainsi, la vérité n'est pas ce qui est su ou prouvé, mais une force qui attire l’humanité vers le mystère du néant qui, n’étant pas, ne peut être épuisé. Dans cette perspective, la connaissance est un passage, un moyen et non une fin : le moyen d’approcher en esprit ce qui ne peut être.
L’insu doit donc être pensé comme un au-delà des connaissances, une frontière entre le savoir et l’inconnu ultime. Il est peut-être nécessaire de cesser de parler de “champ” de connaissances, car il ne s'agit pas de récolter et stocker des savoirs, mais de les traverser comme on traverse un paysage connu. L'insu est le seuil qui mène au non-être, un endroit où la conscience touche ses limites et où l'esprit humain rencontre un vide créatif, plein de possibilités infinies.
Ce chemin, du non-su à l'insu, et enfin au non-être, révèle une quête existentielle : non pas juste pour savoir, mais pour ressentir la profondeur de ce qui échappe à la compréhension.

La distinction entre ignorance simple et ignorance fine montre comment l'esprit perçoit l'inconnu. L'ignorance simple est l'état de non-savoir où l'on est inconscient de ce qui pourrait être appris. L'ignorance fine, en revanche, vient d'une conscience avancée : savoir qu'on ne sait pas, mais aussi voir les contours flous de ce qu'on ne saura peut-être jamais. Cette ignorance fine devient une source de création, d'invention et d'intuition, elle pousse l'esprit à chercher entre les savoirs et à explorer ce qui est invisible et inconnu.