CONTEXTE :
Les années 1970 ont vu naître notamment un mouvement abolitionniste pénal (abolir tout de la chaîne du pénal, de la police à la prison), qui venait du Nord de l’Europe, porté par des théoriciens comme Louk Hulsman (professeur de droit, Pays-Bas), Nils Christie (professeur de criminologie, Norvège), Thomas Mathiesen (sociologue du droit, Norvège) et relayé au Canada, notamment par Ruth Morris (autrice et activiste).
Ce mouvement, s’il a eu d’abord un certain écho à travers le monde, s’est heurté au durcissement soudain (début des années 80) des politiques pénales et au développement partout de ce que Nils Christie a appelé “l’industrie de la punition”. Ainsi ce qui paraissait d’abord possible – en finir avec la punition et la rétribution – s’est tout à coup et durablement (définitivement ?) éloigné, même si aujourd’hui, quelques rares pays (Pays-Bas, Autriche…) inventent malgré tout des alternatives à la peine et en viennent à supprimer un nombre conséquent de leurs prisons.
Dans ce vide laissé par l’effondrement du projet abolitionniste, quelques pratiques moins radicales ont fleuri. Elles visent à amoindrir le caractère rétributif de la justice et prennent le risque pour cela du compromis et des concessions faites à la colossale machine judiciaire et à l’opinion. C’est le cas des pratiques regroupées sous l’étiquette de « justice réparatrice » ou « restaurative », récemment popularisée en France par un film de l’Industrie de la fiction cinématographique autour des rencontres auteurs/victimes (Je verrai toujours vos visages - Jeanne Henry - 2023). Ces pratiques sont cependant arrivées tardivement en France, 2014, sous le ministère et la loi Taubira. Elles sont intégrées à -et entièrement contrôlées par l’administration judiciaire.
Du point de vue abolitionniste, bien sûr, le développement de la justice restaurative suscite des critiques, à commencer par celle-là : au lieu de réduire le champ d’intervention du système pénal, il contribue à l’augmenter, puisque ce dernier s’est attribué l’exclusivité de l’exercice.
D’un autre point de vue, celui par exemple de Howard Zehr, criminologue américain et premier théoricien de la justice restaurative, on peut observer que la conception de cette forme de justice est appuyée sur une analyse de la gestion collective ancienne des conflits et des crimes caractéristiques de certaines sociétés amérindiennes et africaines traditionnelles. Le développement actuel d’une justice restauratrice a ainsi pour effet symbolique fort de restaurer aussi les valeurs de sociétés d’abord écrasées par les modèles occidentaux, leur colonialisme, leur violence, leur patriarcat et leur racisme systémique.
Un Débat - Sénégal - LFKs 2004
La dernière née de la lignée réparatrice est la justice transformatrice et elle n’a que quelques années. Elle a d’abord désigné les programmes vérité et réconciliation tenus suite à des crimes de masse. Elle est l’un des résultats de la critique de la justice restaurative par des abolitionnistes comme Ruth Morris. Aujourd’hui, le développement de la justice transformatrice est porté par des mouvements féministes et étend sa mission à la dénonciation et à la transformation des structures de pouvoir révélées par les violences (ce que ne fait pas la justice pénale qui au contraire souvent les renforce).
“C’est particulièrement visible dans le cas des violences faites aux femmes, mais la justice transformatrice se penche aussi sur les pratiques punitives des groupes féministes militants qui dénoncent les violences faites aux femmes”. Elsa Deck Marsault, autrice, militante féministe, co-fondatrice du collectif Fracas.
Les pratiques de la justice transformatrice ont d’abord été pensées par des groupes sociaux qui ne pouvaient pas recourir au système pénal en raison de leur situation légale ou sociale. Elles visent à répondre aux besoins des victimes, mais aussi à ceux des auteurs et, plus largement, aux besoins de groupes sociaux dans lesquels certains faits se sont produits. La justice transformatrice promeut la guérison et la responsabilité collective (Louk Hulsman) plutôt que la punition d’un individu auteur.
Elle entend donner aux victimes une maîtrise de la temporalité du processus de justice et leur permettre de se réapproprier leur victimation en sortant du cadre parfois trop étroit des définitions des infractions données par le droit (Nils Christie). Elle vise la reprise du lien social et veut prendre en charge la dimension collective de l’injustice qui a été commise à l’intérieur même des sociétés démocratiques.
PROBLÉMATIQUES :
comment et pourquoi des alternatives à la peine naissent-elles de l’intérieur de la justice pénale ?
peut-on, à titre individuel, s’accorder sur le concept de justice avec un pouvoir gouvernemental ? à la recherche d’une alternative majeure et humaniste au “tout punitif”, doit-on coopérer avec les institutions de justice d’État ? doit-on construire des solutions opposables ?
à partir de notions de l’anthropologie et des sociétés traditionnelles, comment ritualiser la solution au conflit au sans institution étatique ?
comment, par quels moyens et jusqu’à quel point la montée de la figure de victime influence-t-elle la justice et l’aggravation des peines ?
l’apaisement et le pardon sont-ils possibles entre victime et infracteur sans l’instance judiciaire ?
qu’en est-il de la responsabilité collective dans les conflits et les violences entre individu·e·s ?
un mouvement social qui n’intègre pas dans sa volonté de transformation du monde, une transformation de l’idée de justice a-t-il un avenir ? et lequel ?
OBJECTIFS :
savoir réaliser une enquête, recueillir des données et les interpréter ;
trouver une forme d’équilibre et de liberté personnelle dans les échanges participatifs avec les autres ;
agrandir son passé et son histoire pour y intégrer les formes primitives et traditionnelles océaniennes, africaines de la pensée sociale ;
penser une circularité ni coercitive ni panoptique des signifiants de la violence ;
se construire une vision multidimensionnelle des situations de conflits ;
expérimenter des méthodes d’analyse en groupe en utilisant le groupe d’études comme objet d’étude, et l’appliquer aux phénomènes sociaux.