17 septembre 2019, deuxième jour de tournage. On passe le matin et l’après-midi dans une ancienne carrière d’ocre à ciel ouvert, à Rustrel. La carrière a été baptisée Colorado Provençal dans les années 1950 par un abbé défroqué, Pierre Martel. Un pionnier de l’écologie en Haute-Provence. Probablement un fan aussi de John Ford.
L’ocre et le Luberon, c’était une grande histoire. Il ne reste plus qu’une seule entreprise, elle est à Apt, la seule du coin, la seule aussi en France. Mais avant, toute la région envoyait des tonneaux remplis d’ocre pure dans le monde entier. À Rustrel même, ça a duré un peu plus de deux siècles. Tout s’est arrêté en 1993, quand le dernier ouvrier, Roger, est parti à la retraite. Monsieur Roger Arnaud.
<< Roger Arnaud… Tu ne travailles pas ?! >>.
Une fin à l’ancienne ; pas de plan social. Une extinction. Comme les rhinocéros blancs.
Les collines ne sont pas près de les oublier, Roger Arnaud et les autres. Deux cents ans et quelques de grattage, de détrempage d’une couche de sable argileux, ça fait mal. Même si la couche est épaisse, même si elle est vieille de deux millions trois cent mille siècles, deux cents ans à ce régime, ça suffit pour créer un paysage franchement bizarre. Les héritiers des propriétaires de carrières n’ont pas eu de mal à se tourner vers une autre forme d’exploitation et de dégradation : le tourisme de masse. 250 000 vacanciers chaque année achètent un ticket et font la queue pour voir les dégâts spectaculaires que quelques ouvriers ont réussi à faire dans le temps sur 30 hectares, avec juste des pelles.
Par chance pour nous, une partie du site avait été fermée au public juste avant notre venue, la pluie avait tout emporté : les accès, les chemins, les barrières… vous savez ce que c’est : la sécurité, la prévention, les précautions, le sommet de Rio… Alors nous avons pu tourner là tranquillement, perdus dans les vestiges environnementaux d’un monde du travail. Pour dire la vérité, c’est sous cette forme que je préfère le monde du travail : en érosion. Que les eaux l’emportent, le travail !
Concernant le travail, il y a deux faits que je retiens, le premier est que nos ancêtres à tous, les chasseur-cueilleurs, ont vécu une société d’abondance tout en ne travaillant que l’équivalent de trois semaines par an, le deuxième fait est que j’ai appris ça au cours de 64 semaines de 35 heures de formation professionnelle sur moins d’une année et demie, rémunérée 400 euros par mois. L’équivalent de 21 ans de boulot pour un chasseur-cueilleur, mais sans l’abondance. Je n’arrête pas de penser à ça.
Remerciements
Mairie de Rustrel
Association du Colorado Provençal
Parc naturel régional du Luberon
Carine Saussol
Éric Garnier